dimanche 22 février 2015

Bonne lecture : "Hérode le Grand" de Christian-Georges Schwentzel.


                                        Il est toujours difficile d'approcher la réalité d'un personnage historique, qu'on ne connaît le plus souvent qu'au travers de témoignages partiaux et partiels ou d'actions qu'il faut interpréter a posteriori, à l'aune de critères qui ne sont pas forcément les nôtres. Sans doute est-ce encore plus vrai lorsqu'on aborde les grandes figures antiques, notamment de par la rareté des sources et leur manque de fiabilité, mais aussi parce que l'Histoire cède parfois le pas à une légende dont le héros a quelque chose d'édifiant, bien que caricatural. Cléopâtre ou Néron en sont de bons exemples, mais le Roi Hérode n'est pas en reste.

                                        Dans l'imaginaire collectif, Hérode est ce roi mégalomane, cruel et tyrannique, qui ordonna le massacre des nouveaux-nés hébreux et fit exécuter une bonne partie de sa petite famille. Bon sang ne saurait mentir : on retient de son fils, Hérode Antipas, qu'il fit décapiter Saint Jean-Baptiste à la demande de sa belle-fille Salomé, qui l'avait séduit par sa danse lascive. Des récits rapportés par les Évangiles et à partir desquels s'est construite la légende noire de la dynastie hérodienne. Mais qu'en est-il en réalité ? Cette sinistre réputation est-elle méritée ? Qui étaient vraiment Hérode le Grand et ses descendants ? Questions d'autant plus légitimes  lorsqu'on sait que les textes bibliques contredisent les autres témoignages de l'époque, comme celui de l'historien juif Flavius Josèphe...

                                        Tel est le point de départ de "Hérode le Grand", ouvrage publié en 2011 par Christian-Georges Schwentzel, professeur en Histoire ancienne à l'université de Lorraine (Metz). S'il se présente comme la confrontation des différents textes pour tenter de dresser le portrait du roi Hérode et de ses successeurs, le livre va cependant beaucoup plus loin. Après un chapitre d'introduction rappelant le contexte géopolitique et les grands courants divisant le peuple juif, il offre une étude érudite mais passionnante de leur action politique et de la propagande dynastique. Mêlant habilement essai thématique et biographie, l'auteur a l'intelligence d'aborder son sujet sur plusieurs fronts : archéologie, numismatique, étude de textes antiques ou modernes, etc. Le texte est érudit, parfois un peu austère pour le néophyte, mais il demeure accessible et bien écrit.


"Le Roi Hérode sur son trône" (De Théophile Lybaert, 1883.)

                                        Loin du paranoïaque sadique, Hérode le Grand apparaît comme un personnage beaucoup plus complexe. De son ascension à son règne (37 à 4 avant J.C.), on découvre le parcours de ce roi qui parvint à louvoyer en permanence entre les différentes forces en présence, sachant faire la preuve de sa puissance militaire autant que de ses talents de diplomate. Présenté par l'auteur comme un Janus à double visage, Hérode est en effet un personnage dual. Roi juif et roi hellénistique, respectueux des traditions religieuses mais relais de la puissance romaine, implacable ennemi de Cléopâtre, ami d'Antoine puis d'Auguste, Hérode est un personnage de l'entre-deux : entre deux mondes, entre deux cultures, entre deux camps politiques. Un roi funambule, qui réussit à se maintenir au pouvoir dans un territoire déchiré par les querelles idéologiques et les pressions des différents groupes religieux.

                                        Le livre soulève davantage de questions qu'il n'apporte de réponses - et c'est bien normal. Car une fois posé le respect des rituels ou la fidélité à Rome, comment en déterminer la part de sincérité et la part de calcul ? L'auteur n'y prétend pas, mais il analyse avec finesse et pertinence les éléments idéologiques mis en place par Hérode pour asseoir et consolider son pouvoir, la construction a posteriori de sa légitimité dynastique, l'utilisation de l'iconographie et de la symbolique à la fois juive et hellénistique. C'est sans doute la partie la plus intéressante de l'ouvrage, qui aborde toutefois bien d'autres thématiques comme par exemple l'administration ou l'économie sous le règne d'Hérode.

                                        Quant à ses successeurs - Hérode Archélaos, les tétrarques Hérode Antipas et Philippe, Agrippa Ier, Agrippa II et Bérénice - ils se voient consacrer un dernier long chapitre évoquant leurs règnes et vies respectifs, mais mettant surtout l'accent sur la manière dont ils poursuivirent ou tentèrent de poursuivre l'action de leur ancêtre. Mais piégée dans l'inévitable escalade de la confrontation entre les Juifs et le pouvoir romain qui aboutira à la destruction du Temple de Jérusalem en 70, la dynastie hérodienne ne s'en relèvera pas.

                                        Parmi ses portraits, ceux d'Hérode Antipas et de Bérénice retiennent évidemment l'attention : le premier en raison de l'exécution de Jean-Baptiste, la seconde pour son histoire d'amour avec le futur Empereur Titus. Deux épisodes qui - et ce n'est pas un hasard - ont fourni matière à quelques sublimes œuvres picturales, littéraires ou musicales (On songe à Richard Strauss ou Oscar Wilde dans le cas de Salomé, à Racine dans celui de Bérénice)... Sur ces deux sujets, Christian-Georges Schwentzel apporte d'intéressants éclaircissements, soulignant par exemple que la danse de Salomé, alors âgée de 13 ans, tenait davantage du gracieux compliment d'une enfant plutôt que d'un striptease lascif... Comme il l'a fait pour Hérode, il confronte les textes et interroge la chronologie pour en extraire la vraisemblance. Même procédé quant à la liaison de Titus et Bérénice, recontextualisée et remise en perspective.

                                        Cependant, c'est bien le personnage d'Hérode le Grand qui écrase de son aura l'ensemble du livre. Un livre qui ne prétend pas le réhabiliter, ni le disculper des crimes qu'il a pu commettre. Sans l'en dédouaner, il souligne ainsi les nombreux succès à porter à son crédit, tant sur le plan économique que religieux ou politique. Si en refermant le livre, on ne sait toujours pas dans quelle mesure Hérode était cynique ou sincère, on a pourtant l'impression de mieux comprendre ses motivations. Et peut-être même d'avoir entraperçu son vrai visage, au détour d'une page... Enfin, tout comme le contexte juif permet de faire la lumière sur sa personnalité, le portrait d'Hérode apporte un éclairage sur le monde qui était le sien, et qui vit la naissance du christianisme.  Ce qui est déjà remarquable !





"Hérode le Grand" de Christian-Georges Schwentzel.

Éditions Flammarion, collection Pygmalion.
324 pages, 23€90.

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