mercredi 16 octobre 2013

Expo : Les Arènes De Nîmes.


                                        Association nîmoise réunissant des passionnés d'Antiquité romaine, Carpefeuch ne pouvait manquer l'exposition que le musée archéologique consacre en ce moment aux célèbres arènes de la ville - ou plutôt à, l’amphithéâtre, abusivement désigné sous ce nom ! Sous le titre "Les arènes de Nîmes, un amphithéâtre romain", cette exposition qui se tient jusqu'au 17 Novembre à la Chapelle des Jésuites propose de découvrir l'histoire de ce monument. En compagnie de Lucile Novellini et de Fleur Ippolito, du musée archéologique, nous avons profité d'une visite complète.

Vue aérienne des arènes.


Les arènes de Nîmes : lieu de spectacles.


                                        Aujourd'hui, l'on associe volontiers les arènes nîmoises à la tauromachie, et c'est d'ailleurs par une brève évocation des corridas qu'est accueilli le visiteur. Mais dans l'Antiquité, l'amphithéâtre est le lieu d'autres spectacles, d'autres divertissements, auxquels l'exposition consacre une place importante. C'est cet aspect, illustré par les nombreux objets retrouvés à Nîmes, que Lucile Novellini a choisi de traiter en premier.

Déroulement d'une journée à l'amphithéâtre.


                                        Une journée de jeux comportait traditionnellement trois phases :
  • les chasses (venationes) le matin, qui mettaient en scène des animaux sauvages, exotiques ou non (lions, panthères, éléphants ou plus simplement sangliers, cerfs, ours... voire lapins !), luttant entre elles ou combattues par des chasseurs professionnels (venatores). A Nîmes, l'organisation de venationes est probable mais pas attestée.
  • un intermède à midi (meridiani) au cours duquel avaient lieu les exécutions capitales ou des combats mineurs avec des armes de bois.
  • des combats de gladiateurs (murena), clou du spectacle, dans l'après-midi. Je ne m'étendrai pas sur le déroulement d'un combat de gladiateurs ni sur les différents types de combattants : j'ai déjà traité du sujet ici.
"La Naumachie" (Tableau d'Ulpiano Checa.)

                                        Certains amphithéâtres présentaient parfois des naumachies, c'est-à-dire des reconstitutions de combats navals. Toutefois, ce type de spectacles était rare, notamment parce qu'il nécessitait des installations permettant l'adduction et l'évacuation d'eau, afin d'inonder l'arène. Ce n'est pas le cas à Nîmes, où le monument ne présente pas les infrastructures nécessaires. Les naumachies ont toutefois excité les imaginations - bien qu'on en ignore quasiment tout, en particulier du point de vue technique. Aucun texte ne nous renseigne par exemple sur la manière dont les bateaux étaient introduits dans l'arène, bien que les spécialistes supposent qu'ils étaient démontés et remontés à l'intérieur.

                                        Offerts gratuitement par les notables qui s'assuraient ainsi le soutien de la foule, les jeux revêtaient un coût très important : il fallait payer les lanistes (propriétaires des gladiateurs), les animaux, leur transport, les techniciens, etc.
 

La gladiature à Nîmes.

 

Lampe à huile du mirmillon vaincu.
Temps fort de cette journée de jeux offerte à la population, les combats de gladiateurs étaient extrêmement populaires auprès des spectateurs. Le sujet passionnait à ce point qu'il illustrait de nombreux objets du quotidien, qui étaient autant de produits dérivés. L'exposition en présente un certain nombre, remarquablement conservés. Plusieurs lampes à huile sont ainsi ornées, sur le médaillon central, de scènes de gladiature : on y voit la panoplie (armatura) d'un thrace ; un combat entre deux thraces dont l'un, bouclier à terre, demande grâce ; ou encore un mirmillon vaincu, tête basse. Le manche d'un couteau en forme de mirmillon est aussi exposé, de même qu'un médaillon d'applique étonnant qui, utilisé comme couvercle d'une urne funéraire, a été préservé et montre de nombreux détails passionnants.


Médaillon des gladiateurs.

                                        On peut y voir un rétiaire (nommé Xanthius) affronter un secutor (Eros), dont les noms nous sont connus grâce aux panneaux que brandissent les deux personnages que l'on distingue sur les cotés et qui sont chargés de stimuler la foule (figurée au fond). Les deux gladiateurs sont juchés sur une estrade inclinée et le combat est surveillé par deux arbitres - un au centre et le second à droite. Enfin, on peut lire les mots "Stantes Missi", indiquant que les deux hommes ont été épargnés et sont tous deux déclarés vainqueurs.

                                        Enfin, l'exposition présente deux stèles funéraires de gladiateurs. De tels témoignages sont rares : mal considérés, les gladiateurs étaient enterrés en dehors des nécropoles. 14 stèles ont pourtant été retrouvées à Nîmes, laissant supposer qu'il existait peut-être une nécropole réservée aux gladiateurs. Elles apportent en tous cas des renseignements sur ces hommes, indiquant leur catégorie (thrace, rétiaire, mirmillon, etc.), leur âge, parfois leur origine géographique, leur palmarès, et l'identité du dédicant.



Stèle funéraire d'un gladiateur.


Celle-ci, par exemple, est dédiée au Thrace Aptus, né à Alexandrie, enterré à Nîmes et mort à l'âge de 37 ans, par son épouse Optata.

                                        Extrêmement populaire dans l'Antiquité, la gladiature l'est encore aujourd'hui - à ceci près que les combats ne se déroulent plus dans l'arène, mais sur grand (ou petit) écran, et qu'ils font les délices des amateurs de péplums. Des combats toutefois bien éloignés de la réalité, plus spectaculaires que vraisemblables. La figure du gladiateur cristallise bien des fantasmes, hérités des siècles précédents et en particulier de l'Art pompier du XIXème siècle. Les films véhiculent donc une image erronée mais féconde, comme en témoigne le montage vidéo réalisé par Claude Aziza, présenté en clôture de l'exposition. Y sont réunis quelques pépites, soigneusement sélectionnées et qui illustrent tout à la fois la richesse du thème dans le cinéma et son aspect fantasmatique.

Claude Aziza, Fleur Ippolito et Lucile Novellini.

Amphithéâtres du monde romain : des origines à Nemausus.


                                        L'amphithéâtre est un édifice typiquement romain. Littéralement, le mot signifie "double théâtre", en référence au théâtre grec, destiné aux représentations de pièces, concerts, etc. Les Romains ont donc eu l'idée d'ériger deux théâtres face à face, créant ainsi une structure le plus souvent elliptique (et qui a l'avantage de ne pas présenter d'angle mort) , pour accueillir les combats de gladiateurs et les chasses. Les premiers amphithéâtres étaient des édifices provisoires en bois, montés au gré des spectacles sur le forum des villes. A la fin du IIème siècle furent bâtis les premiers amphithéâtres en pierre, dans le Sud de l'Italie (Capoue, Pompéi.) L'amphithéâtre de Pompéi ne répond d'ailleurs pas au plan classique des amphithéâtres romains puisqu'il présente un escalier extérieur, par lequel les spectateurs accédaient aux gradins.

                                        Les amphithéâtres romains pouvaient être construits selon deux techniques, et l'on distingue :
  • les amphithéâtres à structure creuse, qui sont creusés dans le sol ou reposent sur des soutènements périphériques maçonnés contenant des remblais (c'est le cas du Colisée à Rome, qui servira de modèle aux amphithéâtres postérieurs) ;
  • les amphithéâtres à structure pleine, qui s'appuient sur une série de murs rayonnants. (comme celui de Nîmes.)

Maquette du Colisée, réalisée par Auguste Pelet.

                                        La façade est en général constituée d'une superposition d'arcades aux décors empruntés aux différents ordres architecturaux : dorique, ionique et corinthien. Divers aménagements offraient aux spectateurs un certain confort, comme par exemple la mise en place d'un velum (toile tendue au-dessus des gradins, attachées à des mats fixés sur des consoles au sommet de la façade.) ou l'utilisation des sparsiones, pompes de métal diffusant de l'eau parfumée sur le public. Sur un plan plus pragmatique, on pouvait aussi installer des barrières supplémentaires ou des filets lors des chasses, afin de protéger les spectateurs si la hauteur des gradins ne suffisait pas à assurer leur sécurité. (Nous allons voir que les notables étaient placés au plus près de la piste... Une panthère déchiquetant un Décurion, ça faisait sûrement mauvais genre ! )

                                        Les travées libres s'ouvrent sur des couloirs et des escaliers intérieurs, qui facilitaient l’évacuation des lieux et permettaient surtout à chacun de gagner la place qui lui était destinée dans les gradins (cavea). Chaque spectateur disposait d'un munus, un morceau de terre cuite indiquant quelle entrée il devait emprunter, dans quel secteur et dans quelle rangée se trouvait sa place. En effet, on ne s'installait pas n'importe où dans les gradins, et la répartition des spectateurs reflétait la structure sociale de l'Empire : aux premiers rangs se plaçaient les notables ; les citoyens romains disposaient des gradins intermédiaires ; les non-citoyens, les pauvres, les esclaves et les... femmes étaient relégués sur les gradins les plus élevés. A Nîmes, l'amphithéâtre présente cette même disposition, les places d'honneur étant réservées aux décurions, mais aussi aux nautes du Rhône, de la Saône et de l'Ouvèze.

Amphithéâtre de Nîmes : particularités.


Datation.


                                        La datation de l'amphithéâtre de Nîmes a longtemps fait l'objet de polémiques. On a cru pendant un temps qu'il avait été construit sous le règne d'Auguste, mais la découverte d'un tuyau d'évacuation perçant le rempart augustéen (et non intégré dans la muraille) montre que le monument lui est postérieur. Un as de Domitien daté de 86 ou 87, découvert à la fin des années 1980 dans les remblais des fondations, a permis de dater assez précisément le début du chantier. De même, la datation au carbone 14 des doubles queues d'aronde en bois (servant à lier entre elles les pierres posées à joint vif) de la travée 49 a permis d'établir que les travaux avaient été achevés vers 115 ou 120.

Queue d'aronde en bois.
 
Ils auraient donc duré une quarantaine d'années, peu de temps après l'édification du Colisée romain et juste après celui de l'amphithéâtre d'Arles. Les ouvriers de Nemausus ont d'ailleurs tiré les leçons des erreurs commises par leurs voisins d'Arelate : les pierres de l'amphithéâtre arlésien se fissurant, les Nîmois les renforcent par des voûtes. Des différences notables dans la taille des pierres ou dans la mise en place des blocs sur les différentes façades dénotent quant à elles la concomitance de plusieurs chantiers, menés simultanément. Enfin, la disparité des décors s'explique peut-être par des raisons économiques - le chantier se prolongeant et l'argent nécessaire n'étant pas disponible, on aurait "rogné" sur les coûts.

Structure.


                                        L'amphithéâtre de Nîmes, construit sur le modèle du Colisée et de l'amphithéâtre d'Arles, reprend donc les grandes caractéristiques des monuments romains. De forme ovale, il mesure 133 mètres de long pour 100 mètres de large et 21 mètres de haut - la piste s'étendant sur 68 X 38 mètres. Il pouvait accueillir 24 000 spectateurs. On y retrouve le système de galeries et d'escaliers, qui permettaient aux spectateurs de gagner rapidement leur place.


                                        La façade présente deux étages de soixante arcades superposées et d’un attique, séparés par une corniche. Au sommet de l'édifice, on remarque des pierres trouées dans lesquelles étaient fichés les mats soutenant le velum. Sur l'un des côtés du monument (vers le Palais de Justice, à l'Est.) apparait un fronton soutenu par deux avant-corps de taureaux : ils signalaient l'emplacement, à l'intérieur, de la loge réservée aux Décurions. Le reste du décor appartient à l'ordre toscan, la roche utilisée étant difficile à travailler.
 

Avant-corps du fronton.

Décors.

 

Bas-relief d'un combat de gladiateurs.
L'exposition de la Chapelle des Jésuites montre également des moulages des bas-reliefs qui ornaient les arènes. Outre les avant-corps de taureaux, on peut y admirer la représentation apotropaïque d'un phallus (7 symboles de ce type ont été identifiés sur le monument), une scène montrant les jumeaux Romulus et Remus allaités par la louve, et un bas-relief figurant un combat de gladiateurs. Sur le monument, plusieurs trous ou encoches laissent supposer qu'il existait bien d'autres éléments de décors permanents ou temporaires - notamment des fanions, peut-être fixés sur des tiges métalliques au-dessus des travées.


Coulisses.

Souterrain des arènes de Nîmes. (via nemausensis.com)

A partir de la construction du Colisée, les amphithéâtres romains intégrèrent tous des coulisses souterraines consistant en une fosse rectangulaire comportant des galeries perpendiculaires. Là, un système de monte-charge permettait de faire surgir dans l'arène les animaux ou les gladiateurs. La fosse était donc recouverte d'un plancher muni de trappes.




A Nîmes, la fosse comprend deux galeries se coupant en angle droit, et l'ensemble forme un croix. On a notamment retrouvé lors des fouilles une inscription, gravée à deux reprises, et mentionnant le nom de l'architecte, de l'entrepreneur ou du commanditaire : T. Crispus Reburrus.





Évacuation des eaux.


                                        En ce qui concerne le réseau d'évacuation des eaux, l'amphithéâtre nîmois comportait un système complexe de canalisations :
  • un premier égout suivait le contour est de l'édifice et récupérait les eaux tombant sur la plateforme extérieure
  • un deuxième égout suivait les galeries du rez-de-chaussée et récupérait les eaux des canalisations parcourant les murs
  • le troisième recueillait les eaux provenant des gradins
  • une quatrième canalisation bordait la piste, légèrement bombée afin de faciliter l'écoulement des eaux.
L'ensemble des eaux recueillies étaient évacuées du monument grâce à un dernier égout, qui les déversaient en dehors du rempart augustéen.

L'amphithéâtre après l'Antiquité.


                                        Progressivement, les combats de gladiateurs deviennent de plus en plus violents, et virent au carnage systématique. L'évolution des mœurs et la condamnation de la gladiature par l’Église chrétienne conduit à l'interdiction des combats en 404. Mais contrairement à ce qui survient ailleurs, les Arènes de Nîmes sont préservées, grâce à leur occupation ininterrompue. Au VIème siècle, le monument devient tour à tour un lieu de refuge pour la population face aux envahisseurs barbares, un quartier d'habitation, le centre du pouvoir (par exemple sous les Wisigoths). Il est transformé en forteresse, dans laquelle s'établissent au Moyen-Âge les chevaliers des Arènes, vassaux des Comtes de Toulouse. Devenu ensuite château royal, l'amphithéâtre est à nouveau occupé par la population au XIVe siècle : c'est alors un quartier d'habitations privées, de commerces, d'ateliers, d'entrepôts. Il comporte pas moins de 140 maisons, et même deux églises ! L'exposition présente d'ailleurs quelques magnifiques reliefs de l'Église Saint-Martin...

Vestige de l’Église Saint-Martin.

                                        Il faudra attendre le XIXème siècle pour que les dernières habitations soient détruites, et que le monument soit restauré. Une restauration qui se poursuit encore aujourd'hui et concerne notamment la rénovation de la façade, grandement dégradée au fil du temps.

                                        En attendant la fin des travaux, prévue pour 2025 (!!), cette exposition est l'occasion de découvrir les Arènes de Nîmes et le contexte de ce type de monuments dans l'Antiquité. La disposition de la salle est aussi attrayante qu'originale, puisqu'elle reprend schématiquement la forme des arènes, ce qui donne au parcours un côté ludique et agréable, et contribue à la mise en valeur des objets présentés (moulages, lampes à huile, outils, etc.). Le tout est complété par la projection du montage réalisé par Claude Aziza, ainsi que par des écrans tactiles qui proposent d'approfondir certains sujets (les techniques de construction, le velum, la gladiature, etc. ) ou de découvrir les autres amphithéâtres du monde romain. Enfin, les enfants ne sont pas oubliés puisque des jeux et un coin BD leur sont destinés. Mais dépêchez-vous : il ne vous reste que quelques jours pour aller visiter l'exposition !






Les Arènes de Nîmes : Un Amphithéâtre Romain.
Chapelle des Jésuites - Grand’Rue - 30000 Nîmes.
04 66 76 74 80
Lien ici : Musée archéologique de Nimes - volet "expositions".

Entrée : 5 € (3.50€ tarif réduit.)
Gratuit le 1er Dimanche de Novembre ou pour les détenteurs d'un billet des Arènes ou un pass 3 monuments.

Merci à Lucile Novellini et Fleur Ippolito pour la visite guidée. 

Aucun commentaire: