dimanche 1 septembre 2013

L'Ecole Dans l'Antiquité Romaine.

                                       Loin de moi l'idée de vous plomber le moral, mais voilà : nous sommes déjà en Septembre, et c'est déjà la rentrée. J'ai donc une pensée émue pour tout ceux qui reprennent le travail, et plus encore pour les élèves et étudiants qui lisent ces lignes. Courage, les gars : il faut tenir jusqu'aux prochaines vacances ! En attendant, quel meilleur moment pour traiter de la question de l'éducation dans la Rome antique ?! Juste histoire d'être raccord avec le sujet, et peut-être de remonter le moral de ces jeunes gens, qui ne sont finalement pas si mal lotis.


ORIGINE DES ÉCOLES DANS LA ROME ANTIQUE.


                                       De la Rome archaïque jusqu'au milieu de IIIème siècle avant J.C., les informations concernant l'éducation sont peu nombreuses. A priori, on suppose qu'elle reste rudimentaire, et que le seul enseignement reçu par les enfants est dispensé par leurs propres parents ou par des esclaves instruits, qui leur apprennent les connaissances indispensables - c'est-à-dire avant tout les compétences agricoles, domestiques et militaires. Les filles apprennent à filer, tisser, coudre, tenir la maison... Bref, à devenir de futures matrones. Quant aux garçons, l'essentiel est déjà de former le futur citoyen, en lui inculquant les indispensables valeurs civiques et morales. A l'origine, l'éducation romaine permet donc d'acquérir les compétences de base nécessaires à la survie, mais aussi le code social traditionnel permettant la cohésion de l'ensemble de la société.

Un père et son enfant. (Sarcophage, Musée du Louvre.)

                                       Bien souvent, les leçons sont dispensées non seulement aux enfants de la maison, mais aussi à ceux des amis ou des voisins, qui viennent à heures fixes y recevoir le même enseignement. Dans ce cas, on paye généralement une somme modique à l'hôte, ou on offre des cadeaux à l'esclave chargé des cours.


Professeur donnant des cours au domicile d'un élève. (Via Estudiandosocialestoy.blogspot.com)

                                        Les premières écoles apparaissent à Rome vers le milieu du IVème siècle avant J.C., en parallèle avec l'accession de la classe plébéienne au pouvoir politique. Ces écoles gratuites sont appelées les ludi,  mot latin signifiant "jeux" : tout comme le jeu, elles ont pour but premier la socialisation de l'enfant, en même temps que l'acquisition d'une éducation de base. Vers la fin du IIIème siècle avant J.C., un affranchi du nom de Spirus Carvilius passe pour avoir créé le premier ludus payant. Mais les sources relatives à l'éducation des enfants sont rares, et il faut attendre le IIème siècle avant J.C. pour que la question soit évoquée dans les textes.

                                       C'est sous la République romaine et au début de l'Empire que le système éducatif romain atteint sa forme définitive. Des écoles ouvrent à plus grande échelle, le professeur est rémunéré directement par les parents (assez mal, d'ailleurs. Il doit souvent travailler en plus comme copiste, pour pouvoir survivre), et on y accueille les filles comme les garçons. Le système éducatif est assez comparable à celui que nous connaissons aujourd'hui, en ce qu'il est constitué de plusieurs niveaux successifs : l'école "élémentaire" , l'école de grammaire et l'école de rhétorique. Cependant, la progression de l'élève dépend de ses capacités (facilités d'apprentissage, intelligence, etc.), et non pas de son âge.

QUELQUES GÉNÉRALITÉS SUR L’ÉCOLE.


                                       Tous les enfants ne vont pas à l'école. Les esclaves n'y ont évidemment généralement pas accès, de même que les enfants les plus pauvres. Non parce que les écoles sont payantes (les frais de scolarité sont parfois minimes, de sorte que la majorité peut y avoir accès), mais parce qu'ils représentent une paire de bras supplémentaire et doivent déjà travailler. De façon assez ironique, certains enfants issus des familles les plus riches ne fréquentent pas non plus l'école : ils sont éduqués par des précepteurs (souvent des affranchis grecs ou étrusques), qui leur apprennent à compter, à lire et à écrire en latin et en grec, et les initient aux grandes œuvres littéraires, à la rhétorique, la grammaire, la musique, l'astronomie, la philosophie, etc.  Le père joue aussi un rôle d'éducateur ou, en son absence du père, d’autres membres de la maisonnée comme la mère, les grands-parents ou les oncles paternels. On songe à Cornélie, la mère des Gracques, ou à Auguste qui apprenait à ses petits-fils à lire et à écrire, en leur faisant imiter son écriture.

Mère éduquant son enfant. (Fresque de Pompéi.)

                                       Pour les autres, direction le ludus ! L'école n'est toutefois pas obligatoire, et elle n'est pas non plus contrôlée par le pouvoir ou les institutions. Il n'existe pas non plus de bâtiment spécifiquement dédié à l'éducation, et ces écoles se situent généralement au domicile de l'enseignant - le ludi magsiter ou litterator - ou dans des lieux ou des pièces ouvertes comme l'auvent ou l'intérieur de boutiques, ou des galeries attenantes aux édifices publics. Elles n'accueillent qu'un petit nombre d'élèves - une dizaine, en moyenne. La "classe" est séparée du tumulte de la rue par de simples rideaux, et le mobilier se compose en tout et pour tout de quelques bancs ou de tabourets pour les élèves, d'une chaise ou d'un siège pour le maître, et parfois d'un tableau noir.

École romaine sous une galerie. (Via Estudiandosocialestoy.blogspot.com)

                                       J'ai précisé que les écoles étaient ouvertes à tous, les frais de scolarité demeurant  accessibles. En réalité, le coût de l'éducation dépend de plusieurs facteurs : l'école "élémentaire" coûte moins cher que les études secondaires, et la réputation et les qualifications de l'enseignant influent également. Ces derniers sont pour la plupart des affranchis, qui ne jouissent pas d'une position sociale très élevées, et ne sont rémunérés que par les parents de leurs élèves. En théorie, on ne fait aucune distinction entre les enfants issus des patriciens et ceux issus de classes plus modestes : peut-être est-ce le cas en ce qui concerne l'enseignement à proprement parler, mais un garçon noble viendra accompagné de son paedagogus, en général un esclave de confiance (le plus souvent grec) qui l'escorte sur le chemin de l'école et joue le rôle de protecteur, de compagnon, de conseiller, de maître d'études, etc. L'enfant peut même être accompagné d'esclaves supplémentaires...

Paedagogus conduisant un enfant à l'école. (Via Estudiandosocialestoy.blogspot.com)
 
                                       Quintilien affirme que l'éducation doit commencer le plus tôt possible :
"Ce bénéfice, accumulé chaque année, formera avec le temps un capital qui, prélevé sur l'enfance, sera autant de gagné pour l'adolescence. Appliquons la même règle aux années suivantes, afin qu'aucun âge ne soit arriéré dans les études qui lui sont propres. Hâtons-nous donc de mettre à profit les premières années, avec d'autant plus de raison que les commencements de l'instruction ne portent que sur une seule faculté, la mémoire; que non seulement les enfants en ont déjà, mais qu'ils en ont même beaucoup plus que nous." (Quintilien, "Institution Oratoire", I, 1, 19.)
Les écoles accueillent le plus souvent des enfants des deux sexes, âgés de 7 à 11 ans. Les filles pouvant être mariées dès l'âge de 12 ans, cette instruction de base est la seule qu'elles recevront.


ÉCOLE "ÉLÉMENTAIRE".


                                       La journée commence avant le lever du soleil, et les élèves doivent donc venir à l'école avec des bougies - dont les fumées noircissent murs et plafond de la salle de classe. Laissons la parole au pseudo-Dosithée:
"Un esclave réveille l'enfant tôt le matin, ouvre la fenêtre, l'aide à s'habiller, à se laver le visage et les dents ; s'il fait froid, il enfile de lourdes chaussures, une tunique de laine, une écharpe autour du cou et un manteau à capuche ; avant d'aller à l'école, il va saluer ses parents ; il peut arriver que, sur le chemin, l'enfant s'arrête à la boulangerie pour se faire acheter une collation par l'esclave qui l'accompagne ".
L'enfant - ou son pédagogue - transporte tout son matériel scolaire (tablettes, stylets, etc.) et son déjeuner dans une boîte (capsa), équivalent de notre cartable.

Statue représentant un écolier avec, à ses pieds, la capsa. (Cour octogonale du Belvédère, Vatican.)
 
                                       Les leçons s'étalent de l'aube jusqu'à la sixième heure (midi), pour une courte pause déjeuner, et les cours reprennent après l'heure de la sieste. L'année scolaire commence le 24 Mars, après les festivités dédiées à Minerve, déesse de la sagesse veillant sur les enseignants et les écoliers. Elle est entrecoupée de nombreux jours de repos comme les fêtes religieuses (les Saturnales ou les Quinquatries par exemple), et elle s'interrompt durant l'été. Tous les 9 jours, on fait également relâche car c'est jour de marché : les cours ayant lieu dans des pièces ouvertes sur l'extérieur ou proches de la rue, le bruit empêche le bon déroulement des leçons.

Magister tenant la férule (via www.ac-grenoble.fr.)


                                       Question discipline, c'est plutôt raide. Dans le meilleur des cas, l'enfant paresseux doit recopier des lignes (plusieurs fragments, conservées au Muées d’État de Berlin, ont été retrouvés en Égypte.), et un élève turbulent a droit à une bonne raclée, souvent administrée à coups de bâtons. A l'école secondaire, une faute grave est punie par le fouet. Au point même qu'en Latin, la périphrase "tendre la main à la férule" (manum ferulae subducere) signifie "étudier ", et que la baguette (ferula) est l’attribut du maître d’école pour de nombreux auteurs. Horace qualifie par exemple son professeur, Orbilius, de "plagosus" (brutal, qui aime frapper). Quant à Martial, il écrit démontrant la dureté des punitions infligées aux enfants :
"Maître d'école, laisse un peu de repos à cette naïve jeunesse ; et puisses-tu, pour récompense, voir accourir à tes leçons beaucoup d'élèves à la longue chevelure, et avoir toute l'affection de cet auditoire assis autour de ta table ! Que nul maître de calcul, qu'aucun sténographe ne soit jamais pressé par un cercle plus nombreux ! Pur et serein, le jour brûle de tous les feux du Lion, et l'ardent juillet mûrit nos moissons jaunissantes. Ces courroies découpées dans un cuir de Scythie, ces lanières qui ont déchiré le dos du Célénien Marsyas, ces tristes férules, sceptres des pédants, laisse-les reposer, laisse-les dormir jusqu'aux ides d'octobre ; si les enfants se portent bien l'été, ils en savent assez." (Martial, "Épigrammes", X-62.)

Toutefois, dès le Ier siècle, on commence à privilégier des procédés plus doux et on compte davantage sur l’émulation : on utilise des lettres d’ivoire ou de buis, et même à des gâteaux en forme de lettres pour récompenser les progrès de l’enfant. Ces innovations indignent pourtant les partisans d'un enseignement plus traditionnel, et elles restent marginales.

Maître battant un élève. (Gravure du XIXème s. d'après une fresque de Pompéi.)


                                       Mais qu'enseigne-t-on exactement ? A l'école, on apprend à lire, à écrire et à compter. En ce qui concerne la lecture, les élèves apprennent les 23 lettres de l'alphabet latin par cœur, en les récitant : on les répète à la suite du professeur, en accentuant la prononciation. Ces récitations matinales ne sont pas du goût de Martial, qui vitupère après ces dizaines d'enfants ânonnant dès le matin :
"Qu'avons-nous à démêler avec toi, coquin de maître d'école, tête odieuse aux jeunes garçons et aux petites filles ? Le coq, à la crête altière n'a pas encore chanté, que déjà ta détestable voix et ton fouet nous étourdissent. L'airain ne résonne pas avec plus de fracas sur l'enclume du forgeron qui met en selle la statue d'un avocat ; moins bruyantes sont, dans le grand Amphithéâtre, les clameurs frénétiques des partisans d'un gladiateur victorieux. Tes voisins ne te demandent pas de les laisser dormir toute la nuit ; car c'est peu de chose que quelques heures de veille, mais veiller sans cesse est un supplice. Renvoie tes écoliers. Veux-tu, bavard maudit, que l'on te donne pour te taire autant que tu reçois pour brailler ?" (Martial, "Épigrammes", IX - 69.)

École romaine. (Via projetrome.free.fr)
 
                                       Tous les élèves font partie de la même classe, quel que soit leur niveau. Ils sont toutefois répartis en plusieurs groupes. Par exemple, en ce qui concerne la lecture : les abecedarii (qui étudient encore l'alphabet), les syllabarii (ils connaissent les syllabes) et les nominarii (ils sont capables de reconnaître les mots).

Tablettes de cire et stylet.

                                       L'apprentissage de l'écriture et de la lecture se fait simultanément : l'enseignant trace les  lettres et en explique la prononciation, tandis que les enfants s'appliquent à recopier le tracé, par un procédé d'imitation qui constitue la colonne vertébrale de l'enseignement à Rome. On écrit sur des tablettes de cire, à l'aide d'un stylet (ou de tout autre objet pointu comme un morceau de bois, d'os ou de métal.), parfois sur du papyrus ou sur des tessons de terre cuite (ostraka).
"Lorsque l'enfant commencera à connaître le tracé des lettres, il ne sera pas inutile de les graver le mieux possible sur une tablette, afin que le style le suive comme un sillon. En effet il ne s'égarera pas comme sur la cire (car il sera contenu des deux côtés par des bords et ne pourra s'écarter du modèle); d'autre part, en suivant avec plus de célérité et plus souvent des traces déterminées, il donnera de la sûreté à ses doigts et n'aura pas besoin que la main du maître vienne se poser sur la sienne pour la diriger. Ce n'est pas un soin indifférent, quoique presque tous les gens bien nés le négligent ordinairement, que celui d'écrire bien et vite." (Quintilien, "Institution Oratoire", I.1 27-29.)
                                         Selon Cicéron, les petits Romains ont du mal à prononcer correctement le "R", qu'ils prononcent souvent "L"...  On étudie aussi bien le Grec que le Latin : depuis son plus jeune âge, l'enfant a été confié à une nourrice ou à un esclave grecs, et il maîtrise généralement cette langue avant même le Latin - si bien établi que Quintilien insiste sur la nécessité de ne pas trop tarder pour initier l’enfant au Latin, de peur qu’il ne le parle ensuite avec un accent étranger ! On a même élaboré, au début du IIIème siècle, des  manuels appelés Hermeneumata Pseudodositheana, qui regroupent du vocabulaire, des textes bilingues et un manuel de conversation Latin / Grec constitué de petits dialogues familiers !

                                       Parfois, le professeur exerce les enfants en leur faisant réciter des vire-langues. On apprend aussi à travers les textes : les élèves de la période républicaine recopient par exemple la loi des Douze Tables, ou apprennent par cœur des textes en prose et de la poésie latine ou grecque. "L'Odyssée" d'Homère est un ouvrage fréquemment étudié : il célèbre la ténacité, la sagesse, l'honnêteté, le respect de la famille et la fidélité. En revanche, "L'Illiade" est moins souvent abordée... Il faut dire qu'elle relate la défaite des Troyens, parmi lesquels Énée, que les Romains considèrent comme leur ancêtre. Du coup, "L'Enéide" de Virgile est aussi un ouvrage fréquemment lu en classe, dont on recopie et on apprend des passages entiers. La mémorisation tient donc une place prépondérante dans l'enseignement des plus jeunes. Quintilien critique toutefois cette méthode, qu'il juge mécanique et d'une monotonie exaspérante...

Abacus. ((Via Estudiandosocialestoy.blogspot.com.)
 
                                       En ce qui concerne le calcul, on apprend à compter à l'aide d'un abacus, sorte de boulier de forme rectangulaire. Les enfants se familiarisent avec l'arithmétique en utilisant des pierres (calculi !). On enseigne aussi des rudiments de mythologie, de géographie, d'Histoire, etc.


ÉCOLE DE GRAMMAIRE.


                                       Si les petites filles vont en général à l'école primaire, l'enseignement supérieur concerne surtout les garçons, jusque vers 15 ans environ. Les jeunes filles issues de la noblesse continuent toutefois à se cultiver et à étudier, chez elles, la littérature ou la philosophie : on les appelle les doctae pullae (jeunes filles savantes).

Jeune fille lisant. (Bronze du Ier s. - ©Marie-Lan Nguyen via wikipedia.)

                                       Dans l'équivalent de notre école secondaire, on étudie la grammatica, discipline qui inclue naturellement la grammaire, mais aussi la littérature en général, en Latin et en Grec. Le professeur est appelé le grammaticus. Une fois encore, l'accent est mis sur les œuvres d'Homère, mais on ne les étudie pas dans leur intégralité: elles sont abordées de façon partielle, par l'étude de plusieurs passages sans lien entre eux. On se penche aussi sur l’œuvre de Tite-Live  ou  celle des poètes latins, comme Andronicus et Ennius.
"Le premier enseignement à donner à celui qui a appris à lire et à écrire, c'est celui de la grammaire. (...) Cet enseignement, qui en gros se divise en deux parties, la connaissance du langage correct et le commentaire des poètes, est au fond plus important qu'il n'en a l'air. Car la façon d'écrire dépend étroitement de celle de parler, et le commentaire suppose une lecture parfaitement corrigée, et il faut pour tout cela du jugement. (...) Et si le professeur n'a pas donné au futur orateur des bases solides, tout ce qu'on construira par-dessus s'écroulera." (Quintilien, "Institution Oratoire", I, 4, 1-5.)

Statue en l'honneur d'un grammaticus. (IIème S. - ©Barbara McManus.)
 
                                       La prononciation et l'élocution représentent également une large part de l'enseignement, tout comme les premiers éléments de rhétorique. Tout cela n'a rien d'étonnant, au vue de l'importance de l'art oratoire dans la société romaine. Au cours du Ier siècle avant J.C. apparaissent d'ailleurs les premières écoles spécialisées dans cet enseignement (voir ci-dessous). Enfin, on apprend aussi un peu de géométrie et de musique - qui est alors considérée comme une matière appartenant au domaine des mathématiques.


ÉCOLES DE RHÉTORIQUE.


                                       Les écoles de rhétorique sont en général tenues par des professeurs grecs (le rhetor). La plupart des étudiants sont des jeunes hommes issus des familles les plus aisés, et ils y étudient - en plus de la rhétorique, qui demeure évidemment la matière principale - la littérature et la philosophie. En règle générale, l'étudiant doit discourir sur un sujet imposé - improviser un plaidoyer pour Médée, par exemple. Mais ces méthodes et cette mode de la déclamation sont sujètes à controverse dès le Ier siècle :

"Mais aujourd'hui nos petits jeunes gens sont conduits aux tréteaux de ces déclamateurs qui sont appelés rhéteurs. (...) Les exercices eux-mêmes sont pour la plus grande part nuisibles. On traite en effet chez les rhéteurs deux sortes de sujets, les suasoires [en gros, un discours destiné à persuader l'interlocuteur] et les controverses : les suasoires, considérées comme plus faciles et exigeant moins de connaissances juridiques, sont laissées aux enfants ; les controverses sont attribuées au plus capables, mais quelles controverses, ma foi ! et sorties d'une imagination délirante ! Il en résulte que l'on traite de sujets si éloignés du réel avec un style déclamatoire." (Tacite, "Dialogue des Orateurs", 34 - 36.)

Quintilien ne dit pas autre chose :

"Il faut donc que les sujets eux-mêmes, qui sont imaginaires, ressemblent au réel le plus possible, et que la déclamation imite, le plus que l'on pourra, les plaidoyers, puisqu'elle fût inventée pour y entrainer. Car les magiciens, les épidémies, les réponses d'oracles et les marâtres plus cruelles que celles de la tragédie, nous aurions du mal à les trouver dans les procès et les règlements juridiques." (Quintilien, "Institution Oratoire", II, 10, 1-9.)
Illustration de "Institution Oratoire" de Quintilien.

                                       Les étudiants les plus riches, ou ceux qui peuvent espérer faire une brillante carrière du fait de leurs aptitutes, poursuivent leur éducation à l'étranger, dans des écoles prestigieuses situées en Grèce ou en Asie Mineure. Athènes, en particulier, est très prisée pour ses écoles de philosophie. On peut d'ailleurs considérer que les deux systèmes éducatifs, assez similaires sur la forme, se distinguent précisément sur le fond : en Grèce, on étudie la philosophie ; à Rome, on se perfectionne en droit.

                                       Suétone raconte que Vespasien "fut le premier qui constitua sur le fisc, aux rhéteurs grecs et latins, une pension annuelle de cent mille sesterces. " Certes, Vespasien ne crée que des postes dans l'enseignement "supérieur", et uniquement pour la ville de Rome. Il s'agit toutefois d'une innovation importante, puisque l’État met en place des chaires d'enseignement à ses frais, donnant ainsi naissance à un embryon d'enseignement public. Le premier enseignant à bénéficier de cette décision n'est autre que Quintilien, professeur de rhétorique latine abondamment cité dans cet article. A nouveau, on remarque que les matières priviligiées par l'Empereur concernent l'art oratoire, et non des sujets plus techniques ou scientifiques : rien de surprenant, puisque dans la civilisation romain, l'enseignement supérieur est avant tout un moyen de former les futurs citoyens à la vie publique.

Quintilien.


                                       C'est d'ailleurs l'une des grandes différences entre le système éducatif des Romains et celui que nous connaissons : alors que les écoles romaines ont pour but de former un citoyen Romain, avec toutes les valeurs de dignitas, pietas, fides et gravitas inhérentes à ce statut, l'enseignement vise aujourd'hui l'obtention par l'élève d'un diplôme ou d'une formation lui permettant de décrocher un emploi...  Il est à d'ailleurs à noter qu'à Rome, on n'enseigne pas des matières pourtant aussi essentielles à la conduite d'une carrière publique que le droit, l'administration ou les tactiques militaires. Tout cela, les Romains l'apprendront plus tard, sur le tas - Cicéron, par exemple, s'est perfectionné en droit aux côtés du juriste le plus éminent de l'époque, Quintus Mucius Scaevola, et il dirigera lui-même plusieurs apprentis.

                                       Je me garderai bien de porter un jugement sur ces deux conceptions de l'instruction. Je me bornerai simplement à constater que, à tout prendre, l'éducation à Rome présente un avantage : le zéro, chiffre introduit par les arabes, n'est pas connu des Romains ! Ca n'empêche pas les mauvaises notes, mais vous échappiez au moins à la bulle... En revanche, essayez un peu d'additionner LXXXVIII et XII ! Et oui, chaque médaille a son revers. (Pour ceux que ça intéresse, la réponse est C.)


Professeur avec trois élèves. (Bas-relief de Trier, 200 avant J.C.)


14 commentaires:

Titus Pullo a dit…

Excellent article, très instructif !

FL a dit…

Merci ! :-)

Sabine Bollack a dit…

Très complet, merci!

FL a dit…

Je vous en prie ! Et merci pour le commentaire ;-)

Patrick a dit…

Merci, beaucoup je fais un exposé dessus :)

FL a dit…

Tant mieux si ça t'a aidé ! Bon courage pour ton exposé, et merci pour le petit mot.

Anonyme a dit…

trop cool ce blog !
j'en ai appris des choses sur l’école !

FL a dit…

Merci ;-)

Anonyme a dit…

Merci infiniment pour cet article, il est complet et bien écrit. Il m'a beaucoup aidé pour mon exposé. C'est du très bon travail.

FL a dit…

Mais c'est la saison des exposés !! Je me répète, mais contente d'avoir pu vous aider... J'espère que vous allez scotcher votre prof :-)

Anonyme a dit…

MERCI beaucoup ça m'aidera pour mon exposé en latin!!! :p

Enjoy a dit…

Bon je vais vous énerver et je suis un peu en retard... Mais moi aussi j'ai un exposé! Et moi aussi je voudrais remercier l'auteur de ce blog! :)

FL a dit…

Ça me fait très plaisir de pouvoir vous aider. Et la quantité des exposés ne m’énerve absolument pas, bien au contraire ! Je trouve que ce sont plutôt des sujets sympas, et que c'est une excellente idée d'élargir l'enseignement du Latin à la vie quotidienne des Romains, plutôt que de se cantonner aux textes. Merci, en tous cas, pour vos messages ;-)

Anonyme a dit…

Bravo très bon site