lundi 15 juillet 2013

Le Parfum Dans L'Antiquité Romaine.

                                        J'ai déjà parlé sur ce blog des vêtements, des coiffures, des bijoux des Romains. Reste encore à traiter de la question des cosmétiques et des parfums, et c'est ce dernier sujet que je vais aborder aujourd'hui. En commençant par rappeler que le mot parfum vient du Latin, puisqu'il est composé de "per" - à travers - et "fumus" - la fumée. Ce qui indique assez nettement qu'au départ, le parfum était assimilé à l'encens, et surtout utilisé à des fins religieuses.

Rituel pratiqué par les Vestales.


                                        En tant que substance cosmétique, le parfum est un produit très populaire sous l'Empire. Pourtant, ça n'a pas toujours été le cas. Dans la Rome archaïque, société majoritairement paysanne, le parfum n'est guère utilisé. Ce n'est qu'avec le développement territorial et donc culturel que les Romains, au contact des Étrusques et des Phéniciens, apprennent à apprécier les propriétés des fragrances.  Les premiers introduisent l'utilisation de la myrte, du genêt d'Espagne, du labdanum (variété de ciste) et des essences de pin. Les Phéniciens, quant à eux, font commerce de divers parfums exotiques qu'ils importent à Rome. Vers la fin de la République, la consommation se généralise et ne fait qu'augmenter au fil du temps : seule la chute de l'Empire y mettra un terme, dégradation économique oblige. Au Ier siècle après J.C. déjà, on estime que les Romains consomment environ 2.500 tonnes d'encens par an...

                                        Cependant, le parfum est loin de faire l'unanimité. Cicéron cite ainsi une expression apparemment courante à son époque :
"En vous lisant, ce que je me suis empressé de faire, j'ai remarqué un peu trop de laisser-aller et de négligence ; mais vous avez su tirer un ornement de l'absence même des ornements, comme certaines femmes dont on peut dire : Point d'odeur, bonne odeur."  (Cicéron, "Lettres A Atticus", II-26.)
Flora (ou le printemps)  - fresque du Ier siècle. (Villa Arianna, Stabies)

Pline enfonce le clou, lui qui considère que le parfum n'est rien d'autre que du gaspillage : il n'a aucune utilité, si ce n'est de plaire aux autres.
"Tel est cet objet de luxe, et de tous le plus superflu. Perles et pierreries, en effet, passent quand même aux héritiers, les étoffes durent un certain temps; les parfums s'évaporent instantanément, et, pour ainsi dire, meurent en naissant. Le plus haut titre de recommandations d'un parfum est, sur le passage d'une femme qui le porte, d'attirer par ses effluves même ceux qui sont occupés de tout autre chose. Ils se vendent plus de quarante deniers la livre. Voilà ce que coûte le plaisir des autres, puisque celui qui porte un parfum ne le sent pas." (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", XIII-4.)
                                        Mais, mon cher Pline, ce que femme veut... Et donc, Rome fait une consommation effrénée de parfums ! Oubliez le petit "pschitt" derrière l'oreille : on s'inonde de parfum, on l'utilise partout et tout le temps. A la décharge des Romains, on imagine que les odeurs de la ville ne devaient pas être des plus agréables - entre les relents des égouts et des déchets, les odeurs des animaux et de leurs excréments, sans même parler de l'urine utilisée par les foulons, on peut comprendre l'engouement pour les fragrances les plus diverses.

Le Parfum dans la Rome antique. (Ill. G. Barbier, "The Romance Of Perfume".)

                                        Sur un plan plus romantique, l'odeur fait partie intégrante de la séduction chez les Romains, et c'est un critère important de beauté. En marge de l'attrait d'un parfum plaisant, on pense qu'une odeur agréable est un signe de bonne santé, et les femmes comme les hommes ont donc recours à différentes fragrances. Aux thermes par exemple, on prend chaque jour des bains d'eau de senteur et on se fait masser avec des huiles de fleurs. En raison de l'odeur très forte et souvent peu agréable que dégagent les cosmétiques de l'époque (à base de substances plus ou moins ragoûtantes, comme nous le verrons bientôt...), les femmes en particulier font une forte consommation de senteurs diverses et variées, afin de dissimuler ces effluves déplaisantes.

                                        En règle générale, les Romains apprécient des parfums relativement simples, à base de rose (rhodion), de coing (melinium), d'amandes (metopium), de jonquilles (narcissium) ou de jonc, considéré comme le jus le plus commun. Il existe cependant quelques fragrances plus exotiques ou plus complexes, et donc plus chères, comme le nard et la myrrhe, ou encore ceux contenant du cyperus - terme intraduisible car pouvant renvoyer aujourd'hui à des plantes aussi diverses que le carex, la citronnelle, le glaïeul ou même le troène. Grâce aux écrits de l'Antiquité, les historiens ont pu établir que le telinum était le parfum le plus en vogue au IIIème siècle avant J.C. : il se composait notamment d'huile d'olive fraîche, d'essence de cyprès, d'acore calame, de mélilot jaune, de fenugrec, de miel et de marjolaine.

Jeune femme versant du parfum dans un flacon. (Fresque Villa Farnesia - Ier s. avant J.C.)

                                        Si aujourd'hui, la plupart des parfums comportent une base alcoolisée, ce n'était pas le cas à l'époque, où les Romains utilisaient des onguents ou des crèmes, sous forme liquide ou solide. Les onguents, alliance d'une base huileuse et d'une essence parfumée, incluaient parfois des conservateurs comme des sels fixateurs (gommes ou résines) afin de stabiliser les composants volatils. Concrètement, la base appelée onfacio (ou omphacium) était issue de la macération d'olives ou de jus de raisin. Ensuite, pour obtenir les essences parfumées, il fallait extraire le parfum des fleurs, feuilles, graines, écorce, etc. et on connaissait diverses méthodes, encore employées de nos jours. On pratiquait déjà l'enfleurage (des pétales sont trempées dans du suif, jusqu'à ce que la graisse soit saturée de parfum.), la macération dans l'huile (racines ou feuilles sont écrasées, placées dans un sac de toile et trempées dans de l'huile), la macération dans un mélange d'huile et d'eau (racines et feuilles placées dans des jarres en terre cuite enterrées dans le sable, et recouvertes d'un mélange d'eau et d'huile. Les huiles essentielles libérées se mélangent à l'huile qui flotte en surface, et il n'y a plus qu'à la récupérer une fois l'eau évaporée. Cette méthode est surtout utilisée en Égypte.), le pressage, etc. Les substances parfumées obtenues étaient ensuite mélangées à des colorants. Pour toutes ces opérations, il existait des outils spécifiques comme le botarium (vase à digestion), le dipium ou l'oenum, chaudron en bronze pour les macérations aromatiques.



                                        Cette fresque de la Maison des Vetii (Pompéi), présentée sur le site www.scienceinschool.org (dont je vous reparle plus bas) est intéressante, et je leur ai emprunté un bout de leur article car en la détaillant, on comprend mieux comment les parfums étaient fabriqués et vendus. On y voit ainsi, de droite à gauche :
  • Deux putti actionnant une presse, pour extraire l'huile qui servira de base au parfum. Sur leur gauche, on devine un mélange dans un chaudron sur un feu (probablement la macération des plantes dans l'huile chaude) que surveille un de leurs camarades.
  • Deux putti agitant le contenu d'un récipient. A leur gauche, un autre putto tient une fiole, un rouleau de papyrus et une balance. Derrière lui, une armoire contient les autres flacons et la statue d'une divinité.
  • La vente enfin conclue : la cliente teste le parfum sur son poignet ; autour d'elle, un esclave et un putto lui tendant une fiole et une spatule.

                                        En Italie, le marché de parfumerie le plus important est celui de Seplasia à Capoue, mais les villes de Préneste et Naples sont aussi d'importants centres de parfumerie. La Campanie est célèbre pour sa production. Les champs de roses abondent près de la ville de Palestrina, et ces fleurs deviennent un ingrédient populaire. On utilise aussi diverses espèces de lys, cultivées autour de Pompéi. La myrte, le laurier, le jasmin, le narcisse, le safran, l'iris, la mousse de chêne sont des ingrédients appréciés et couramment utilisés. Pline cite, dans son "Histoire naturelle", les substences les plus courantes :
"Parmi les parfums les plus communs aujourd'hui, et, selon l'opinion commune, les plus anciens, est celui qui est composé d'huile de myrte, de calamus (acore calame), de cyprès, de cypre (henné), de lentisque et d'écorce de grenade. Pour moi, je pense que les parfums composés avec la rose, qui vient partout, ont été les plus répandus. La composition du parfum de rose fut longtemps très simple : omphacium, fleur de rose, fleur de safran, cinabre, calamus, miel, jonc, fleur de sel ou anchuse, vin. Même procédé pour le parfum de safran : on ajoute du cinabre, de l'anchuse et du vin. Même procédé pour le parfum de marjolaine: on ajoute l'omphacium et le calamus." (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", XIII-2.5.)
Psyché et un Cupidoni fabriquant du parfum. (Fresque de la Villa Getty.)

                                        Bien sûr, les parfums varient en fonction des classes sociales, pour d'évidentes raisons de coût : certaines essences atteignent au Ier siècle des prix ahurissants et une once de parfum vaut parfois plus de 400 deniers. Les parfums à base de substances exotiques, importées d'Orient, sont de loin les plus chers : par exemple ceux contenant du poivre, de la cannelle, de la cardamome, de la noix de muscade, du gingembre, de l'aloès récoltés en Inde.

                                        Malgré plusieurs tentatives afin de soutenir les producteurs locaux, notamment en limitant l'utilisation d'ingrédients importés de pays lointains, ces fragrances exotiques sont les plus prisées par les élites fortunées. Comme par exemple le baume de Judée, importé d’Égypte, que l'on retrouve dans les fragrances les plus appréciées - et les plus chères. Au point qu'Alexandrie devient un centre névralgique de la parfumerie : on y produit des épices et des herbes aromatiques, expédiées à Rome et dans les grands centres de production. (Voir ci-dessous) Les parfums ainsi élaborés sont ensuite vendus dans tout l'Empire : à Rome, on les achète sur le Vicus thuraricus, un quartier du Vélabre où sont regroupés les parfumeurs.

Flacons de parfum.

                                       Les parfums, utilisés plusieurs fois par jour, sont en général conservés dans des flacons d'albâtre ou de verre ou des vases en onyx. On les verse ou on les frotte sur la peau de l'utilisateur et différentes senteurs sont utilisées selon les occasions et selon le sexe. On fait aussi usage de déodorants à base d'alun, d'iris et de pétales de rose. Du fait de leur odeur, on attribue aux parfums des vertus contre différentes maladies, comme la fièvre et l'indigestion. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la profession de parfumeur était souvent rapprochée de celle de médecin. Le médecin grec Dioscoride, exerçant au milieu du Ier siècle, recommande ainsi plusieurs odeurs, chacune liée au traitement d'une maladie particulière. Le romarin, par exemple, est connu pour fortifier l'esprit, tandis que le musc a des vertus stimulantes. Dans le même esprit, les parfums sont donc aussi employés sous forme de potions, sensées posséder des pouvoirs magiques. Les plantes composant les fragrances possèdent en effet diverses propriétés - elles endorment, sont aphrodisiaques, donnent de l'énergie ou... empoisonnent ! On les mélange aussi aux vins, de façon à obtenir des sortes de liqueurs parfumées.

"Dans la Rome antique, les liberti vendaient des parfums et des herbes utiles à la santé". (Carte postale publicitaire)

                                        Si les parfums sont portés sur le corps et sont utilisés comme remèdes, on en fait également d'autres usages. Entre autre choses, on parfume les chiens et les chevaux et on s'en sert dans les théâtres lors des représentations ou pour rafraîchir l'atmosphère des maisons chez les plus aisés. Ainsi, par exemple, à l'occasion des réceptions ou des grandes cenae, on parfume les draperies, les coussins, les lits, etc. et les esclaves sont chargés de présenter aux invités des flacons de musc, de marjolaine ou de nard. Les convives se voient coiffer de couronnes de roses et sont aspergés de parfums.

                                        Étant donné le prix des parfums, on peut se demander quelle mouche avait piqué les riches Romains... Réponse : le snobisme ! Car en la matière, ce sont souvent les Empereurs qui donnent le ton, et la haute société s'empresse de copier leurs dernières lubies. Un bon exemple est celui de la "Domus Aurea" construite sur ordre de Néron, après l'incendie de Rome : le plafond de la salle de banquet avait été imaginé de telle sorte que des fleurs pouvaient être jetées et du parfum vaporisé sur les invités, depuis un dispositif de tubes en argent. On raconte même que Néron était allait jusqu'à parfumer les semelles de ses sandales. Dans le même genre, Héliogabale faisait pleuvoir sur ses invités de l'eau de violette ou de rose.

"Les roses d'Héliogabale." (Toile de Lawrence Alma-Tadema.)


                                        On brûlait aussi du parfum sur les bûchers, lors des funérailles : au cours de celles de son épouse Poppée, un Néron (encore lui !) ravagé par le chagrin aurait ainsi fait brûler plus d'encens que l'Arabie n'en produisait en un an. Cet usage funéraire, bien que rarement aussi excessif, s'explique par le fait que les Romains, comme de nombreux peuples antiques, rattachent les parfums à la manifestation des Dieux, auxquels ils associent des senteurs précises : Jupiter est lié au benjoin, Junon au musc, Phébus au safran, Mars à l'aloès, Venus à l'ambre gris, etc. Les enseignes militaires sont aussi parfumées avant les batailles, afin que les Dieux apportent leur protection aux armées.


Cléopâtre. (Toile de J.W. Waterhouse.)


                                        Parmi les grandes figures féminines de l'Antiquité, il en est une qui éclipse toutes les autres : il s'agit bien sûr de Cléopâtre. Si je la mentionne, c'est parce que cette femme fatale, grande consommatrice de produits de beauté de toute sorte, n'était pas une simple coquette invétérée. Experte dans l'art cosmétique (auquel elle a consacré plusieurs écrits), elle était aussi une véritable femme d'affaires et avait ouvert sur les rives de la Mer Morte plusieurs ateliers aromatiques (Officina Aromatoria), laboratoires cosmétiques de première importance.

Oasis d'Ein Gedi.

                                        Et en particulier l'oasis d'Ein Gedi en Judée, sur la rive occidentale de la Mer Noire. L'endroit est situé à environ 400 mètres au-dessous du niveau de la mer, dans une région où, en raison de la forte évaporation de l'eau, la concentration en sel était (et est toujours) très élevée. L'atelier était composé de neuf pièces séparées, dont une salle d'attente garnie de bancs de pierre. Sur place, les plantes nécessaires à l'élaboration des parfums macéraient dans de grands bassins. L'atelier produisait également ce que Pline appelle "l'Asphalite", une boue connue en Judée sous le nom de "goudron noir." Cette substance, extraite du pétrole, était utilisée pour guérir le psoriasis. Quant aux sels de la Mer Morte, ils étaient déjà connus, autant comme cosmétiques que comme médicaments.

"Sabina Poppaea" (École de Fontainebleau, via wikipedia.)

                                        Autre grande sensuelle de l'Antiquité, brièvement évoquée plus haut : Poppée, deuxième épouse de l'Empereur Néron. Elle utilisait une fragrance particulière, faite de 27 ingrédients différents. Au départ élaborée pour les Rois parthes, on y trouvait par exemple toujours selon Pline : huile de ben, vin, miel, costus, amome, noix comaque, malaguette, épi de nard,  germandrée, myrrhe, casse, styrax, ladanum, baume de roseau et d'ajonc de Syrie, fleur de vigne, malobathre, cannelle, henné, astragale, opopanax, safran, souchet, marjolaine, lotus, cardamome, marum. Vous pouvez recompter : les 27 sont là !

                                        Aujourd'hui, les écrits de l'époque et surtout les découvertes de flacons et de résidus lors des fouilles archéologiques permettent aux scientifiques et aux parfumeurs de combiner leurs efforts pour essayer de recréer les parfums antiques. A ce sujet, jetez un œil ici : cette page, malheureusement en Anglais, présente un projet interdisciplinaire Latin- Chimie, où des profs de collège ont essayé de recréer avec leurs élèves le parfum de... Jules César ! Pour ma part, je trouve la démarche aussi intrigante que fascinante, même s'il faut admettre qu'il a apparemment fallu beaucoup d'expérimentations, de tâtonnements et d'hypothèses, pour un résultat finalement obtenu... au pif ! 


Pour aller plus loin, un livre et deux sites :

"Le Parfum, Des Origines A Nos Jours" de Annick LE GUERER - Éditions Odile Jacob -  30€90. - lien.
Smell like Julius Caesar : recreating ancient perfumes in the laboratory - lien.
Les routes du parfum : la Rome antique - lien.






2 commentaires:

Jérémy STORM a dit…

Précis et concis, très bien illustré, j'ai trouvé des informations précieuses pour le premier chapitre de mon roman.

Je vous invite à découvrir "SIRENES - 7 EPREUVES" sur Wattpad ou sur mon blog.

Cordialement,

Jérémy

FL a dit…

Tant mieux, ravie si j'ai pu vous aider ! Je n'ai pas encore parcouru votre blog ni découvert votre roman : je le ferai en même temps que les lecteurs. (A découvrir en cliquant sur le nom, en haut du message.) En attendant, merci pour votre commentaire.