dimanche 20 janvier 2013

La Turbie : Le Trophée Des Alpes.

Timbre monégasque.
Depuis le temps que je vous le serine, vous avez sans doute compris que j'habitais à Nîmes, réputée pour la richesse de son patrimoine antique. Mais j'ai une révélation à vous faire : je ne suis pas originaire de cette ville, puisque je suis née à Nice. (Un petit bonjour à Adri, en passant !) Alors bien sûr, pas d'arènes majestueuses, pas de Maison Carrée, pas d'arc de triomphe ni de Pont du Gard dans la région niçoise... Ce qui ne signifie pas que nous soyons totalement dépourvus de vestiges romains - le site de Cimiez, par exemple. Mais Cimiez, ce sera pour un prochain billet ; cette fois-ci, je vous invite à La Turbie, petite localité des Alpes-Maritimes située à quelques kilomètres de la Principauté de Monaco. Si l'on peut y visiter l’église Saint-Michel (très jolie, mais qui ne nous concerne guère...), le village doit surtout sa notoriété au superbe monument qui s'élève sur son territoire, surplombant la mer : le trophée des Alpes ou trophée d'Auguste, érigé en l'honneur du premier Empereur.


Vue de La Turbie. (Photo Marinus Van Opzeeland.)


                                        C'est en l'an 6 avant J.C. qu'est achevée la construction du monument, dont l'architecture typique laisse à penser qu'il serait l’œuvre d'un disciple de Vitruve. Sans aucun rôle militaire ou utilitaire, il a en revanche une fonction commémorative : dédié à l'Empereur Auguste, il célèbre la soumission de 44 peuples alpins qui, par leurs raids incessants, entravaient les échanges commerciaux et la circulation entre la Gaule et la péninsule italienne. Plus encore, ces peuples exerçaient un contrôle sur les marchandises et les mouvements militaires, mettant gravement en péril la domination de Rome sur cette voie, capitale dans la gestion du territoire. Au cours de quatre batailles (entre 25 et 14 avant J.C.), Auguste pacifia enfin la région en matant les peuplades rebelles, et créa la province des Alpes-Maritimes, dont la capital était Cemenelum (aujourd'hui le quartier de Cimiez, à Nice.) 


Le Trophée. (© La Turbie)

                                        Situé, donc, sur l'actuelle commune de La Turbie (le nom vient de la déformation de "Turris via" - la tour sur la voie), le trophée a été bâti sur la frontière entre la Narbonnaise et l'Italie (celle-ci sera plus tard repoussée jusqu'au Var), au sommet de la Via Aurelia. C'est précisément la victoire définitive sur ces tribus rebelles qui a permis la prolognation de cette voie romaine par la Via Julia Augusta, qui doit son nom à Auguste, et qui reliait la ville italienne de Vintimille à Cemenelum. Le trophée célèbre donc, outre ces succès militaires, la puissance de l'Empire romain sur un territoire désormais unifié.


Trophée d'Adamclisi. (Photo CameliaTWU)
Il ne subsiste que deux vestiges de ce type au monde - l'autre, dédié à Trajan, de plus petite taille, se trouvant en Roumanie, à Adamclisi. Je n'ai pas eu la chance de le visiter, mais je peux témoigner que celui de La Turbie frappe par ses dimensions : aujourd'hui haut de 35 mètres (à cause de Louis XIV ! Voir ci-dessous), il offre une vue imprenable sur toute la région, en surplomb de Monaco, jusqu'au Mont Agel. A l'origine, le sommet pyramidal supportait une statue de l'Empereur Auguste, culminant à 49 mètres de hauteur. Sa base mesurait 35 mètres de côté, la rotonde comptait pas moins de 24 colonnes et, à cet étage, se trouvaient sans doute les statues des généraux ayant combattu sous les ordres d'Auguste. Le matériau utilisé provient de plusieurs carrières de calcaire, ouvertes à La Turbie même : 35 000 m3 aurait été dégagés pour la construction ! L'inscription, les statues et les chapiteaux sont réalisés en marbre, acheminé par mer depuis Carrare et débarqué à Monaco.


Bas-relief du trophée, montrant deux captifs enchaînés. (

                                        La façade ouest comporte une dédicace, en l'honneur d'Auguste, et énonce la liste des 44 peuples soumis - germains, vénètes, celto-ligures entre autres. Les vaincus furent d'ailleurs employés comme esclaves et travaillèrent à l'édification du monument. Présents sur toute la chaîne des Alpes, ils sont ici cités selon leur répartition géographique, en partant de l’Orient. En voici la transcription proposée par Pline l'Ancien, dans son "Histoire Naturelle." (L.III - XX, parag. 4.)

« IMP · CAESARI DIVI FILIO AVG · PONT · MAX · IMP · XIIII · TR · POT · XVII · S · P · Q · R · QVOD EIVS DVCTV AVSPICIISQVE GENTES ALPINAE OMNES QVAE A MARI SVPERO AD INFERVM PERTINEBANT SVB IMPERIVM P · R · SVNT REDACTAE · GENTES ALPINAE DEVICTAE TRVMPILINI · CAMVNNI · VENOSTES · VENNONETES · ISARCI · BREVNI · GENAVNES · FOCVNATES · VINDELICORVM GENTES QVATTVOR · COSVANETES · RVCINATES · LICATES · CATENATES · AMBISONTES · RVGVSCI · SVANETES · CALVCONES · BRIXENETES · LEPONTI · VBERI · NANTVATES · SEDVNI · VARAGRI · SALASSI · ACITAVONES · MEDVLLI · CENNI · CATVRIGES · BRIGIANI · SOGIONTI · BRODIONTI · NEMALONI · EDENATES · VESVBIANI · VEAMINI · GALLITAE · TRIVLLATI · ECDINI · VERGVNNI · EGVITVRI · NEMATVRI · ORATELLI · NERVSI · VELAVNI · SVETRI »



Dédicace du Trophée.

En voici la traduction :

« À l'empereur César Auguste, fils du divin Jules, Grand pontife, Imperator pour la XIVe fois, dans sa 10ème puissance tribunitienne, le Sénat et le peuple romain ont fait ce monument, en mémoire de ce que, sous sa conduite et ses auspices, tous les peuples alpins qui se trouvaient de la mer Supérieure (Adriatique) jusqu'à la mer Inférieure (Tyrrhénienne), ont été soumis à la domination du peuple romain. Peuples alpins vaincus : les Triumpilins, les Camunes, les Vénostes, les Vennonètes, les Isarciens, les Breunes, les Génaunes, les Focunates, quatre nations vindéliciennes, les Consuanètes, les Rucinates, les Licates, les Caténates, les Ambisuntes, les Rugusces, les Suanètes, les Calucons, les Brixentes, les Lépontiens, les Vibères, les Nantuates, les Sédunes, les Véragres, les Salasses, les Acitavons, les Médulles, les Ucènes, les Caturiges, les Brigians, les Sogiontiens, les Brodiontiens, les Némalones, les Édénates, les Ésubians, les Véamins, les Gallites, les Triulattes, les Ectins, les Vergunnes, les Éguitures, les Némentures, les Oratelles, les Néruses, les Vélaunes, les Suètres. »

Cette inscription comporte un intérêt évident pour les historiens, en particulier parce qu'elle apporte de précieux renseignements quant à la localisation de certaines tribus, et permet de mieux comprendre les migrations et la configuration de la situation géopolitique des Alpes avant la domination romaine. La dédicace mentionne notamment des peuples celto-ligures, alors indépendants, qui occupaient la région italienne comprise entre Vintimille et Menton. A noter que les peuples vaincus, contrairement à ce que l'on aurait pu imaginer, n'ont pas été exterminés, puisqu'ils auraient été installés sur le territoire faisant face à l'ancien comptoir Grec de Nikaïa : Cemenelum, dont nous avons déjà parlé.



                                        Monument spectaculaire de par sa taille, le trophée d'Auguste est également remarquable de par sa symbolique. En effet, les trophées étaient traditionnellement dédiés aux divinités de la victoire. A l’origine, le "trophée" faisait partie intégrante des rites romains : constitué des armes du vaincu accrochées à un arbre, il était offert aux Dieux par le vainqueur, en guise de remerciement. Or, le monument de La Turbie célèbre Auguste et, de plus, sa situation géographique le place au sein d’un sanctuaire voué à plusieurs Dieux, comme Abbelio chez les Ligures, Melkart chez les Phéniciens, et surtout Hercule chez les Romains et Héraclès Monoïkos chez les Grecs. (Ce dernier culte a donné son nom à la Principauté de Monaco.) Ainsi, Auguste est-il salué à l'égal d'un Dieu, et il est associé à Héraclès-Hercule -  héros mythologique promis à l’immortalité après la réalisation de ses douze travaux.


L'Empereur Auguste. (Source wikipedia.)

                                        Les aléas de l'Histoire n'ont hélas pas épargné l'édifice. Au Vème siècle déjà, les moines de l'île de Lérins voyaient en lui un symbole païen et détruisirent les statues d'Auguste et de ses lieutenants. Pillé lors des invasions barbares, le Trophée devint au XIIème siècle une forteresse intégrée à un mur d'enceinte, avant d'être en partie détruit sur ordre de Louis XIV en 1705, lors de la guerre opposant la France à la Savoie. Le monument servit ensuite de carrière, ses pierres étant par exemple réutilisées pour bâtir l’église Saint-Michel ou pour rénover les maisons des villages alentours. La reconstruction partielle du monument fut entamée au début du XXe siècle : seule sa façade a été reconstituée, l'absence du reste de l'édifice laissant apparaître sa structure interne, faite d'une imbrication de murs en grand appareil.

 
Musée - Maquette du Trophée. (Photo John M.)



Blason de La Turbie.
En guise de conclusion, je ne saurais trop vous recommander de faire étape à la Turbie, si d'aventure vous visitiez la région. Le monument est associé à un musée, certes modeste, mais qui comporte de nombreux vestiges remarquablement mis en valeur, et qui permettent d'appréhender la portée du Trophée à l'époque romaine. Et quand bien même cet aspect vous laisserait-il indifférent, le panorama qui s'offrirait à vous du haut du Trophée suffirait à justifier la halte !


Pour plus d'informations : www.ville-la-turbie.fr
Pour les renseignements pratiques et pour en savoir plus sur le Trophée d'Auguste, c'est ici.

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