mercredi 5 décembre 2012

Pertinax : les plus courtes sont les meilleures.

                                        Normalement, mon blog est sensé traiter de l'Histoire de Rome. Or je suis bien obligée d'admettre que, jusqu'à présent, je me suis principalement concentrée sur la naissance de l'Urbs, la République et le règne des Julio-Claudiens. Il est largement temps d'y remédier, en s'intéressant aux évènements ultérieurs et aux autres personnages et Empereurs qui ont marqué l'Empire romain de leur empreinte. Comme d'habitude, j'ai opéré mon choix de façon totalement arbitraire, et je vous invite aujourd'hui à découvrir le successeur de Commode, l'Empereur Pertinax.

Buste de Pertinax. (Musée du Vatican)

                                        Publius Helvius Pertinax serait né le 1er Août 126, dans la ville italienne d'Alba Pompeia. Son père, Helvius Successus, est un ancien esclave de Ligurie affranchi par son maître. Il aurait choisi d'appeler son fils Pertinax pour commémorer la persévérance grâce à laquelle il avait réussi à monter sa propre entreprise textile, commerce florissant qui lui permet d'employer sa nouvelle fortune à envoyer son fils dans les meilleures écoles de Rome. Pertinax commence tout d'abord une carrière d'enseignant (grammaticus). Mais le poste ne lui convient pas : précurseur de l'UNSA, il juge apparemment le travail trop ingrat et pas assez lucratif ! Aussi rejoint-il la légion, grâce à l'appui de l'ancien maître de son père. Grâce à l'éducation reçue, il n'est pas intégré en tant que simple soldat mais obtient directement le grade de centurion dans une cohorte en Syrie, vers 160. S'il n'entame que tardivement sa carrière militaire, il s’avère que celle-ci lui convient parfaitement, et Pertinax révéle très vite de remarquables dispositions.

                                        A partir de 162, il prend part à la campagne contre les Parthes, au cours de laquelle il se distingue et décroche plusieurs promotions. Vers 166, devenu tribun militaire, il est transféré en Grande-Bretagne puis, un an plus tard, sur le Danube où il commande un escadron de cavalerie et en 168, il dirige la flotte romaine le long du Rhin. Au terme de cette ascension et ayant réussi à se faire un nom, Pertinax revient à la vie civile : il devient procurateur de rang équestre en Italie, chargé des distributions alimentaires. Puis il reçoit un autre poste de procurateur, cette fois en Dacie, en 169.

                                        Mais il est ensuite rappelé dans les rangs de la légion, afin de servir lors des guerres menées par l'Empereur Marc-Aurèle sur le Danube. Il est alors chargé de commander les vexillationes, une unité indépendante formée d'hommes détachés de leur propre légion.Une nouvelle fois, il fait la preuve de ses compétences face aux Quades et aux Marcomans et, en 170, il est promu au rang de Sénateur et devient préteur de Rhétie, avec le commandement d'une légion. Nommé consul suffect 5 ans plus tard, il participe à la répression de la révolte d'Avidius Cassius en Syrie, et est ensuite nommé gouverneur de Mésie supérieure et inférieure, de Dacie, Dacie inférieure et supérieure, puis de Syrie, entre 176 et 179. 


L'Empereur Commode.

                                        A la mort de Marc-Aurèle, son fils Commode lui succède. Et c'est loin d'être une bonne nouvelle pour Pertinax, qui se trouve dans le collimateur de Sextius Tiginnus Perennis, le favori du nouvel Empereur. Il a épousé Titiana, la fille d'un sénateur, dont il a eu un fils, également nommé Pertinax mais, soupçonné d'avoir frayé avec les conspirateurs ayant ourdi une conjuration en 182, il se retire de la vie publique. Il retourne alors en Ligurie, où il reprend l'entreprise paternelle.

                                        Trois ans plus tard, à la mort de Perennis, Commode le rappelle afin d'écraser une mutinerie  militaire en Bretagne. Il s'y emploie en punissant sévèrement les rebelles, ce qui accroît sa réputation de sévérité. Il est relevé de son commandement en 187 - la raison avancée étant l'hostilité des légionnaires, de plus en plus mécontents de la discipline extrême. Il est ensuite nommé proconsul de la province africaine, en 188. L'année suivante, il rentre à Rome et devient Préfet de la Ville, et à nouveau consul en 192, aux côtés de l’Empereur lui-même.



La mort de Commode. (Source : www.heritage-history.com )


                                        Mais le comportement de Commode est de plus en plus violent et hiératique, au point que les complots contre sa personne se multiplient. Pertinax a-t-il été impliqué dans la conspiration qui met un terme au règne de Commode ? Rien ne permet de l'affirmer. Néanmoins, le 31 Décembre 192, l'Empereur est assassiné. Mais les conjurés, le préfet du prétoire Laetus et Eclectus, ont besoin de temps pour mener leur plan à bien. Ils font donc envelopper le cadavre de Commode dans des draps, et le font transporter à l'extérieur par des esclaves, qui passent devant les gardes prétoriens en affirmant  transporter un paquet de linge sale... Pendant ce temps, Laetus et Eclectus se présentent chez Pertinax, le pressant de succéder à Commode. Convaincu de la mort du tyran, Pertinax se rend sur le champ auprès des prétoriens, et leur offre 12 000 sesterces par tête afin de s'assurer leur fidélité. Dans la foulée, il réunit le Sénat où il est chaleureusement  accueilli. Le 1er Janvier 193, Pertinax, fils d'un ancien esclave, est proclamé empereur.


"Avant que I'assassinat de Commode fût encore rendu public, Eclectus et Laetus vinrent le trouver et lui déclarèrent ce qui s'était passé ; ils n'hésitaient pas, en considération de sa vertu et de sa dignité, à le choisir pour empereur. A leur vue et au langage qu'ils lui tenaient, Pertinax envoya le plus fidèle de ses amis visiter le corps de Commode. Lorsque le fait lui fut confirmé, alors il se rendit secrètement au camp, ce qui d'abord frappa les soldats d'étonnement, mais la présence de Laetus et les promesses du nouvel empereur les lui concilièrent." (Dion Cassius, "Histoire Romaine", LXXIII - 1)



Certes, l'ascension sociale est fulgurante et force le respect. Mais Empereur de Rome, c'est loin d'être une sinécure - surtout lorsqu'on succède à Commode, cet allumé ! La situation financière, en particulier, est catastrophique puisque les caisses sont complètement vides. Et il faut encore payer les prétoriens auxquels, je vous le rappelle, il a promis 12 000 sesterces ! L'erreur que commet Pertinax, c'est de vouloir accomplir ses réformes trop rapidement, sans prendre le soin de s'assurer les soutiens nécessaires. A peine arrivé au pouvoir, il tente de renflouer le trésor, tout en maintenant l'ordre. Pour se faire, il fait adopter plusieurs mesures :


  • Il fait renverser toutes les statues de Commode et le déclare ennemi public.
  • Il réhabilite la mémoire de ceux qui ont été injustement exécutés par son prédécesseur.
  • Il vend aux enchères l'ensemble des possessions de Commode (esclaves et concubines inclus)
  • Il procède à une ré-évaluation de la monnaie, la teneur en argent du denier passant de 74% à 87%
  • Il autorise l'occupation des terres en friche aux cultivateurs, reprenant une disposition initiée par Hadrien.
                                        Mais tout cela ne suffit pas. Pertinax est contraint de réduire le train de vie de l'état de façon drastique, et il ne verse que la moitié de la somme promise aux prétoriens - qui commençaient à s'agiter sérieusement, impatients de toucher leur dû. De plus, fidèle à sa réputation, il impose une stricte discipline aux soldats. Naturellement, les prétoriens sont furieux, et n'entendent pas se laisser dicter leur conduite par ce fils d'esclave, cet ancien pédagogue, ce pingre de tisserand ! 
"Les rapines et les violences leur étaient interdites; on les avait assujettis à une discipline plus exacte; ils prétendaient qu'on les méprisait; que sous prétexte de les ranger à leur devoir, on ne cherchait qu'a les mortifier et à leur ôter leur liberté. Ils voyaient bien qu'ils trouveraient mieux leur compte dans le trouble d'une domination tyrannique que dans la tranquillité présente. Ils devinrent peu à peu moins soumis, leurs officiers n'en venaient à bout qu'avec beaucoup de peine; mais les choses allèrent bientôt plus loin."                                                       (Hérodien, "Histoire Romaine", Livre II.)
Il se met aussi à dos les affranchis impériaux, qu'il accuse de détournements de fonds. Son manque de finesse politique lui vaut donc l'hostilité conjointe des prétoriens et des fonctionnaires.  



Reconstitution virtuelle de Pertinax. ( Codrin.B et Viducus Brigantici filius via www.deomercurio.be )


                                        On aurait pu croire que le peuple, a contrario, soutiendrait ce nouvel Empereur, si différent de la brute épaisse à laquelle il a succédé : non seulement il a l'air de savoir ce qu'il fait, mais en plus il a mis un terme aux exactions des militaires qui, sous Commode, insultaient et frappaient les passants dans les rues de Rome. Et bien, il n'en est rien ! Gavée de jeux et de spectacles sous le règne précédent, la plèbe en a déjà assez de Pertinax et de sa politique d'austérité. (Toute ressemblance avec des personnages existants etc.) Il gagne rapidement une réputation de vieux soldat grincheux, rigide et avare - on raconte même qu'avant de revêtir la Pourpre, il ne servait à ses convives que des moitiés d’artichaut et de laitue...

                                        Dans ces circonstances, pas besoin d'être devin pour comprendre que les jours de Pertinax sont comptés. Dès le 3 janvier 193, un complot avait échoué, lorsque les soldats avaient tenté de le remplacer par un autre Sénateur. Deux mois plus tard, rebelote : alors que Pertinax inspecte les installations du port d'Ostie, il est alerté d'une nouvelle tentative de coup d'état, les prétoriens (encore eux !) ayant cette fois misé sur le consul Quintus Sosius Falco. Le complot est éventé, mais Pertinax accorde son pardon à Falco. En revanche, plusieurs soldats sont condamnés à mort.

                                        Ces exécutions, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase : le 28 Mars, 300 gardes prétoriens (ou 200, selon Dion Cassius) quittent leur caserne et déferlent sur le palais, envahissant les appartements de l'Empereur. Ses propres gardes ont déserté et le préfet Laetus, qui l'avait porté au pouvoir et que Pertinax a envoyé parlementer avec les émeutiers, préfère tout bonnement rentrer chez lui ! Force est de constater que Pertinax a du cran : il refuse de prendre la fuite et, loin de se laisser impressionner par cette horde furieuse, il tente calmement de les ramener à la raison. Il fait état des difficultés financières, en appelle à leur loyauté, à leur sens du devoir, et les exhorte à déposer leurs armes. Il est sur le point de les convaincre quand l'un d'eux, trop excité ou trop borné pour entendre les arguments de l'Empereur, se jette sur lui et lui plonge son glaive dans la poitrine. Pertinax s'effondre et, se couvrant la tête d'un pan de son manteau, se laisse massacrer par les prétoriens déchaînés. Ceux-ci lui coupent la tête et la plantent sur une pique, avant de défiler dans les rues de Rome.

"En plein midi, lorsqu'on y pensait le moins, et que chacun était retiré chez soi pendant la grande chaleur, ils coururent au palais comme des furieux, l'épée nue et la pique baissée. Les officiers de l'empereur, épouvantés d'une émeute si soudaine, se trouvant en petit nombre et sans armes, prirent la fuite. Quelques uns, plus fidèles et moins timides, allèrent avertir Pertinax, et lui conseillèrent de se sauver et de se jeter entre les bras du peuple. Ce parti, quoique le plus sûr, lui parut peu honnête et trop indigne de son rang, de son caractère et de la réputation qu'il s'était faite : il ne pensa donc ni à fuir, ni à se cacher; mais allant au devant du péril, il s'avança pour parler aux soldats, il espérait de réprimer par sa présence cette fougue insensée. Il parut hors de sa chambre, et leur demanda quelle raison ou plutôt quelle fureur les animait. Il garda sa gravité ordinaire, ne perdit rien de sa majesté, et sans pâlir, sans trembler, sans prendre un ton de suppliant, il leur dit : « Quel est votre dessein, et que prétendez-vous faire? Tuer un vieillard qui n'a que trop vécu, et qui a acquis assez de gloire pour n'avoir pas de regret de la vie? aussi bien faudra-t-il toujours en venir à ce terme, et je n'en suis pas fort éloigné. Mais que-vous, qui êtes commis à la garde du prince, qui êtes chargés de sa conservation et de sa vie, qui en répondez à tout l'empire; que vous, qui êtes armés pour sa défense, vous deveniez ses assassins; que vous trempiez vos mains dans le sang, non d'un simple citoyen, mais de votre empereur, c'est un attentat qui peut avoir pour vous d'aussi dangereuses suites qu'il est en lui-même horrible et inouï ! (...) » Ce discours eu avait déjà ébranlé un grand nombre, et quelques-uns s'étaient retirés, frappés par cet air de majesté que sa vieillesse augmentait; mais quelques autres, plus furieux, le tuèrent comme il achevait de parler." (Hérodien, Ibid.)



Buste de Septime Sévère.
Pertinax n'aura exercé le pouvoir que deux mois et 25 jours - faisant de son règne l'un des plus courts de l'Histoire de Rome. Son assassinat déclenche une énième guerre civile. Didius Julianus succède à Pertinax mais, la même année, il est renversé par Septime Sévère. Celui-ci déclare immédiatement Didius Julianus imposteur, reconnaissant Pertinax comme Empereur légitime. Il fait exécuter ses meurtriers, lui organise des funérailles d'État et obtient du Sénat son apothéose. Il va même jusqu'à adopter le cognonem de Pertinax, et pendant plusieurs années, il commémorera l'anniversaire de sa naissance et de son couronnement par des jeux. S'ouvre maintenant le temps de la dynastie des Sévères... Mais c'est encore une autre histoire !


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