mercredi 15 août 2012

Mens sana in corpore sano : médecine et Antiquité romaine.

                                        Auguste qui souffrait de maux de ventre ; Caligula qui délire, atteint de fièvre ; Claude, boiteux et avec des difficultés d'élocution ;  Claude II le Gothique mourant de la peste ; la tuberculose ayant raison de Constantin III ; et l'apoplexie de Trajan... On pourrait continuer longtemps, car les Empereurs romains ne font pas exception : ils ont beau être divinisés après leur mort, ils doivent souffrir les mêmes maux que le commun des mortels durant leur existence terrestre. Et les Romains, en général, ne sont évidemment pas épargnés par les maladies et les accidents.

                                        Pourtant, on peut affirmer sans le moindre doute que les conditions d'hygiène, à Rome, sont excellentes comparées à celles qui existent dans d'autres civilisations antiques ; elles sont même nettement supérieures à celles du Moyen-Âge. L'importance de l'eau chez les Romains en est la cause directe : eau propre distribuée dans l'ensemble de l'Urbs, réseau d'évacuation des eaux performant, engouement pour les thermes... Une bonne façon d'éviter bien des bactéries et des virus. Il n'empêche : l'espérance de vie est considérablement plus courte dans l'Empire romain - environ 40 ans, contre 30 au Moyen-Âge  - qu'à notre époque, même s'il convient de nuancer. En effet, si la population moyenne vit moins longtemps que nous, certains Romains atteignent des âges plus que respectables : Caton l'Ancien fête ses 85 ans, et l'Empereur Gordien est octogénaire lorsqu'il se suicide. Mieux : on connaît l'exemple d'un centenaire, qui a servi dans la légion ! Mais ce sont des exceptions, et la majeure partie des Romains doit faire face à la maladie, aux agressions, aux accidents, etc. Tous égaux devant Charon, je vous dis !

Caton l'Ancien.

                                        Alors, qu'en est-il de la médecine de l'époque ? Tout d'abord, il faut savoir que les médecins sont Grecs. Oh, ce n'est pas à proprement parler une règle, et de rares Romains s'aventurent à pratiquer la médecine. Mais ils ne sont pas pris au sérieux : non, pour les Romains, un bon médecin est forcément Grec ! Ou Juif, à la rigueur... Ils font autorité. Pourtant, ce sont souvent des esclaves ou des affranchis, sans aucune formation, qualification ou éducation : le premier Grec venu peut se proclamer médecin. Vous vous doutez bien que, dans ces conditions, les charlatans pullulent. Certains sillonnent l'Empire pour vendre toute sorte de "potions miracles", au mieux inefficaces, au pire carrément dangereuses. Et ce, malgré la Lex Aquilia (286 av. J.C.) qui prévoit de sévères sanctions contre les médecins peu scrupuleux. Parmi eux, le plus célèbre est sans doute Asclépiade de Bithynie, ami de Cicéron et de Crassus : homme de bon sens, il préconisait surtout une bonne hygiène de vie, basée sur la diète et l'exercice physique. On lui attribuait quand même la résurrection d'un homme conduit à son bûcher funéraire ! Mais Pline l'Ancien voit surtout en lui un beau parleur, capable d'embobiner son auditoire...   Sa renommée sera éclipsée par celle d' Antonius Musa, lequel sauva la vie d'Auguste, en 23 avant J.C.,  en lui administrant des bains froids. En signe de reconnaissance, Auguste l'autorisa à porter l'anneau d'or des chevaliers et exempta d'impôts tous les médecins, à qui César, en son temps, avait donné le droit de Cité.

Antonius Musa.

                                     Nous avons évoqué les escrocs, mais ceux-ci n'ont pas l'apanage de la profession, et il existe de nombreux praticiens sérieux et reconnus. Eux, par contre, ont suivi une formation débutant généralement à 16 ans et d'une durée de 4 ans (bien que Galien ait étudié 12 ans !) L'enseignement pouvait être public (dans des écoles) ou privé (auprès d'un maître prenant un apprenti) Ils y apprennent la pharmacologie, la toxicologie, y pratiquent la vivisection et la dissection. Parmi les praticiens établis, citons Aulus Cornelius Celsus, qui écrit un traité de médecine sous le règne de Tibère (De Re Medica), et différencie plusieurs écoles de médecine :

  • Les empiristes, qui choisissent les remèdes en se fondant sur l'expérience plutôt que sur les causes des maladies ;
  • Les méthodistes, qui adaptent les traitements aux types de maladie;
  • Les dogmatiques, qui acceptent sans poser de questions les explications des pathologies données par les anciens Grecs, dont Hippocrate.

Aulus Cornelius Celsus.


Romains adeptes du "Mangez, bougez !"
Il ressort par ailleurs de l'ouvrage de Celsus que les médecins romains, à l'instar de ce brave Asclépiade, étaient parfaitement conscients de l'importance d'une bonne alimentation et de l'exercice physique (5 fruits et légumes par jour !), et la prévention des maladies était plus facile qu'une éventuelle guérison. Cependant, les médecins connaissent et peuvent identifier de nombreuses maladies, qu'ils parviennent souvent à soigner grâce à leurs prescriptions. Celles-ci consistent en des décoctions d'herbes, des cataplasmes, des saignées, etc. Les médicaments se présentent généralement sous forme de petits blocs, estampillés par leurs fabricants. Par contre, il leur arrive également de se planter dans les grandes largeurs... Comme aux plus beaux temps de Molière, la saignée est souvent considérée comme la Panacée. Et ne parlons pas des infections consécutives aux opérations chirurgicales, déjà largement pratiquées, mais évidemment sans anesthésie.


Intruments médicaux - Musée de Merida. (Photo Roberto Pastrana)


                                        Il y aussi des progrès à faire en anatomie. Ce n'est pourtant pas faute de faire preuve d'initiative : Celsus propose qu'au lieu d'examiner un cadavre, on étudie les entrailles d'un gladiateur blessé, afin d'examiner le fonctionnement d'un homme en vie. Cicéron parle même de dissections effectuées sur des criminels vivants... Autre médecin célèbre, Claudius Galenus (connu sous le nom de Galien de Pergame) a publié un imposant ouvrage en Grec, "Des facultés naturelles", où il tire des déductions de ses observations cliniques. Malheureusement, il commet de grosses erreurs - par exemple en situant le centre de la circulation sanguine dans le foie.

                                        Comme aujourd'hui, il existe des médecins généralistes, et des spécialistes. Ceux-ci se différencient selon le traitement apporté (herboristes, hydrothérapeutes, diététiciens...) ou le type de pathologies traitées (gynécologues, dermatologues, etc.) Les Gaulois étaient notamment des oculistes réputés : les affections ophtalmiques étaient très fréquentes dans l'Antiquité, et elles étaient soignées à l'aide de collyres, que les oculistes préparaient eux-mêmes. Ils pratiquaient déjà des opérations de l'oeil, comme celle de la cataracte. Les femmes ne sont pas absentes : ce sont souvent des sages-femmes, mais elles se spécialisent aussi en gynécologie ou sexologie, et suivent le même cursus que les hommes.

Oculiste examinant un malade. (Museo della civita romana. Photo The Bridgeman Art Library.)


                                        Les médecins aisés exerçaient en cabinets médicaux ; s'ils ne possédaient pas d'officine, ils se cantonnaient aux visites à domicile et était appelé clinici. D'autres encore, les circulatores, étaient des médecins ambulants, consultant lors des rassemblements tels que les foires ou les marchés. 

                                        Et le commun des mortels, dans tout ça ? En dépit de l'existence de l'ancêtre de notre sécurité sociale -  grâce à laquelle les plus pauvres ne payaient pas le médecin, embauché par l’État, qui se déplaçait dans les quartiers défavorisés - la plèbe n'avait pas toujours accès aux soins de santé. Et malgré une bonne hygiène de vie et une alimentation correcte, elle n'était pas à l'abri de maladies mal soignées, de fractures non réduites, etc. Elle se tournait le plus souvent vers les charlatans évoqués plus haut, ou vers les rites de guérison. Il existait ainsi en Gaule de nombreuses sources d'eau chaude, où se rendaient les malades en quête de guérison, en échange d'offrandes à l'esprit du lieu. Certains de ces rites sont assez étonnants : on croyait par exemple que la salive canine possédait des vertus thérapeutiques,  et certains temples abritaient des chiens, à qui l'on faisait lécher les blessures des patients ou les yeux des aveugles.


Un fidèle compagnon, qui a plus d'une utilité... (Mosaïque de Pompéi.)

                                        De manière plus générale,  les Romains sont toujours demeurés méfiants vis-à-vis de la médecine, à laquelle beaucoup ne croyaient tout simplement pas. Caton, par exemple, était persuadé qu'on pouvait tout soigner avec du chou et du vin. Les praticiens étaient souvent l'objet de moqueries, et leurs compétences pour le moins mises en doute. Je ne résiste pas au plaisir de vous rapporter les propos de mon ami Pline l'Ancien et son "Histoire Naturelle" (que ferais-je sans lui ?!!), qui assimile la médecine à  " des paroles vides d'intellectuels Grecs", et explique que les docteurs ne sont jamais d'accord sur un diagnostic, et qu'ils avancent une chose un jour pour soutenir son contraire le lendemain... Mais selon lui, les charlatans doivent leur succès à la crédulité du peuple. Il n'en reste pas moins que Molière, dans son "Malade Imaginaire", n'a rien inventé !


Énée, blessé, soigné par un médecin. (Fresque de Pompéi.)

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