lundi 14 mai 2012

La toge et le glaive : pourquoi ce nom ?

                                        Cela fait maintenant plusieurs semaines que je tiens ce blog, et le nombre de consultations est encourageant. J'en profite d'ailleurs pour remercier ceux qui me lisent - ça fait toujours plaisir de savoir que l'on n'écrit pas seulement pour soi ! Mes derniers articles étaient "costauds", et centrés sur les jeux dans la Rome Antique. Je clos provisoirement le sujet pour un billet beaucoup plus court, mais néanmoins fondamental. J'ignore comment vous êtes arrivés sur cette page : soit vous êtes un de mes fidèles lecteurs (merci - encore une fois !) et vous êtes venus ici directement, soit vous avez cliqué sur un lien, sur un moteur de recherche. Dans ce cas, vous n'avez peut-être pas remarqué le nom de ce blog : la toge et le glaive. Et maintenant, vous vous demandez sans doute pourquoi j'ai choisi ce titre... Oh, certes : c'est joli, et ça a le mérite d'indiquer clairement de quoi l'on va parler. A priori, ce n'est pas un blog de mode ou de recettes de cuisine (quoi que : les blogueurs peuvent nous surprendre !) Pour la toge, on pense évidemment aux sénateurs. Quant au glaive, pas de quoi renverser une charrette : c'est celui des soldats, des légionnaires Romains. Jusque là, j'ose espérer que vous l'aviez deviné. Mais il y a encore autre chose derrière cette jolie formule que, du reste, je n'ai pas trouvé toute seule. J'aurais bien aimé, mais non ! Cela dit, j'estime que je n'ai pas à rougir puisque je l'ai empruntée à un type plutôt doué question phrases chocs : Cicéron lui-même, excusez du peu.

                                        Là, vous seriez en droit de vous dire : "franchement, celle-là, elle ne doute de rien !" Évidemment, se placer sous le patronage de quelqu'un comme Marcus Tullius Cicero, ça vous met direct une certaine pression. Mais en réalité, je n'ai pas vraiment choisi ce nom en hommage au grand orateur ; j'avoue que je n'apprécie pas forcément le bonhomme. Par contre, reconnaissez que "ça pète", comme on dit vulgairement (et là, vous commencez à me croire quand je dis que la formule n'est pas de moi...) Pour être honnête, j'avais envisagé plusieurs autres noms, mais aucun n'avait autant d'allure que celui-là ! Pour autant, ce n'est pas tant cette (excellente) raison qui a dicté mon choix que le sens profond, la forte symbolique de ces quelques mots : voilà ce qui m'a séduite dès que je suis tombée sur cette phrase, au fil de mes lectures. (Car je lis Cicéron, et l'antipathie pour l'homme n'exclue pas une certaine admiration pour son œuvre.) La question se pose alors : d'où vient ce "la toge et le glaive" ? Et qu'est-ce que ça recouvre exactement ?    

                                        Le titre de mon blog fait donc référence à une citation de Cicéron : "cedant arma togae". Il s'agit du premier hémistiche d'un vers tiré de "De officiis" (I, 77), et  la phrase dans son intégralité est la suivante :
"Cedant arma togae, concedat laurae linguae."
Soit : Que les armes le cèdent à la toge, les lauriers à l'éloquence.
Cicéron exprime ici l'idée que le gouvernement militaire doit s'incliner devant le gouvernement civil, et que de la même façon, les victoires d'un général ne doivent pas prendre le pas sur l'éloquence de l'orateur.


Buste de Cicéron.

                                        Disons-le tout net : la modestie n'était pas le principal trait de caractère de ce brave Cicéron. Lorsque, dans "De officiis" (Des devoirs), il revient sur son consulat, c'est pour dresser son propre panégyrique dans une sorte d'auto-célébration surprenante. A sa décharge, il faut reconnaître qu'il a eu fort à faire durant sa magistrature, entre les scandales politiques, les manigances du parti des populares - parmi lesquels un certain Jules César - et les complots, jusqu'à la conjuration de Catilina en point d'orgue. Cela dit, on se moquait déjà de sa vanité et de son égocentrisme dans l'Antiquité. Juvénal lui prête ainsi cet autre vers, particulièrement ridicule et l'on imagine aisément notre ancien consul, tout gonflé de sa propre importance, bombant le torse en déclamant :
 "O fortunatam natam me consule Romam !"
("Ô heureuse Rome, née sous mon consulat !" - rien que ça.) Tempérons tout de même ce jugement sévère en citant Jules César, selon qui Cicéron avait plus fait pour Rome que tous les généraux réunis (c'est quand même Jules qui parle, ce n'est pas n'importe qui !) car "il y a plus de grandeur à étendre les limites du génie romain qu'à repousser les frontières de l'empire." On choperait la grosse tête pour moins que ça. La citation de César nous est rapportée par Pline, qui disait de Cicéron qu'il était "le père de l'éloquence et des lettres latines". Et franchement, je ne connais personne qui oserait contredire cette opinion. Vingt siècles plus tard, on connaît encore la réputation d'orateur de Cicéron, et la fluidité de ses textes ne cesse de charmer ceux qui s'y plongent - en latin ou en Français, pour peu que la traduction soit bonne. Il n'y a qu'à lire quelques uns de ses discours ou de ses essais pour se convaincre qu'effectivement, l'homme excellait dans l'art de la rhétorique.

                                        Voilà donc pourquoi le choix de ces cinq petits mots - la toge et le glaive - s'est imposé à moi : l'idée sous-jacente est forte, et l'auteur est sans nul doute l'une des figures les plus marquantes de la Rome Antique. Il ne me reste qu'à me montrer digne d'un tel titre : sans prétendre égaler Cicéron, j'essayerai au moins de me montrer à la hauteur...

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